Affaire de VersaillesL'affaire de Versailles est une affaire criminelle française jugée les 27, 28 et , devant la cour d'assises des Yvelines, au cours de laquelle trois hommes en détention préventive depuis trois ans et environ deux mois ont comparu pour attentats à la pudeur sans violence sur mineurs de 15 ans, ce qui à l'époque était qualifié comme un crime, et pour avoir pris en photo des adolescents de treize et quatorze ans dans un camping naturiste. La Cour d'assises les a condamnés à cinq ans de prison, dont deux ans avec sursis. Leur peine ayant déjà été effectuée, ils ont été libérés à l'audience. L'affaire de Versailles est marquée par la mobilisation d'intellectuels, sous forme de pétition, pour que la détention préventive des inculpés ne se prolonge pas indéfiniment. Elle voit pour la première fois une Cour d'assises lever le huis clos dans une affaire impliquant des mineurs, ce qui permet au public de suivre en détail une affaire judiciaire jusque-là soumise au secret de l'instruction. HistoireLe contexteNouvelle majorité sexuelle et droit à la contraceptionLes revendications liées à la sexualité des moins de 21 ans font irruption lors de l'hiver 1969-1970, en réaction à la première des infractions condamnées sévèrement en justice, avec le suicide le , à Marseille de Gabrielle Russier, une professeure de lettres, condamnée à un an de prison avec sursis pour enlèvement et détournement de mineur, à la suite d'une liaison amoureuse avec un de ses élèves, Christian Rossi, alors âgé de seize ans, liaison très sévèrement condamnée par la presse. Une fois l'émotion passée, ces revendications s'estompent, d'autant que l'espoir de l'abaissement de la majorité sexuelle en France s'installe[1]. L'affaire de Versailles repose sur des faits commis en 1973, période où la majorité sexuelle en France est encore fixée à l'âge de 21 ans depuis 1945. Elle ne sera abaissée à 18 ans qu'en 1974 en même temps que la pleine majorité civile par la loi du juste après l'élection d'un nouveau président de la République, Valéry Giscard d'Estaing. Dans son article 15, la nouvelle loi remplaçait les mots « de son sexe mineur de vingt et un ans » par « mineur du même sexe » dans l’article 331 du Code pénal[2]. Cette nouvelle loi est accompagnée d'une autre sur la contraception non chirurgicale, légale depuis la loi Neuwirth de 1967 mais qui est réservée aux plus de 21 ans, seuil est abaissé à 18 ans en 1974 et même sans aucun seuil d'âge à condition qu'il y ait prescription médicale et qu'un centre de planification familiale agréé délivre les produits, conditions précisément demandées par les associations féministes pour éviter des pressions d'adultes[3]. Concernant les homosexuels, la majorité sexuelle est finalement laissée à 18 ans, le principe d'une non-discrimination étant repoussé à plus tard. Il le sera jusqu'en 1982 ce qui va déclencher la montée progressive des pétitions concernant la majorité sexuelle qui ne démarrent cependant qu'en . La pression sociale venue des homosexuels québécoisAu Québec, l’année 1976 voit une très forte mobilisation des milieux homosexuels québécois, en avance sur les Français[4], en faveur de l'abaissement de l'âge de la majorité sexuelle[4] car à l’approche de l’organisation des Jeux Olympiques de Montréal, les descentes policières dans les saunas et les bars gays se multiplient, avec en particulier l’arrestation de 89 personnes au Sauna Neptune, en [4]. Dans la foulée est créé le même mois le Comité homosexuel anti-répression (CHAR), en [4], qui devient, quelques mois plus tard, l’Association pour les droits des gai(e)s du Québec (ADGQ)[4]. Il précède de trois ans son équivalent français, le Comité d'urgence anti-répression homosexuelle (CUARH), fondé en 1979 à l'occasion de la première Université d'été homosexuelle. Ce retard exacerbe les tensions dans les milieux français, qui suivent ce qui se passe au Canada. L'évolution des mouvements militants françaisEn France, selon les sociologues[1], ces revendications défensives homosexuelles ne se développent vraiment qu'au cours de l'hiver 1976-1977, avec le début d'une période où des groupes militants qui ont depuis trois ans délaissé le terrain social et se saisissent des enjeux légaux pour obtenir des réformes dans le domaine sociétal, via des campagnes médiatiques, judiciaires et politiques. Concernant les mouvements féministes, il s'agit de réformer la loi sur le viol, pour durcir les sanctions, mais concernant les mouvements homosexuels[1], il est surtout question d'abaisser à 15 ans la majorité sexuelle, qui a été maintenue à la majorité civile pour les relations homosexuelles. Ces campagnes vont déboucher sur la loi de 1980 sur le viol et la loi de 1982 qui place la majorité sexuelle à 15 ans pour les homosexuels[1]. Le quotidien Libération symbolise cette évolution, d'autant qu'il se prépare à l'arrivée d'un nouveau rival, Le Matin de Paris, fondé le par Claude Perdriel [5], alors qu'il subit depuis le printemps la concurrence de Rouge et depuis l'été du quinzomadaire américain The Paris Metro[6]. L'année 1977 marque la brisure définitive de Libération avec un certain gauchisme social, pour aller vers le sociétal [6],[7]. Le directeur Serge July revendique alors une liberté sans tabous, se vantant même des poursuites en justice pour apologie du gangstérisme et de la pédophilie. L'éditorial « Autocritique d'un lecteur » qu'il signe dans le millième numéro, du 12 avril 1977, en témoigne[8] et déplore des ventes insuffisantes (23 500 exemplaires)[9], desservies par une forme peu appétissante. Ce choix suscite des résistances dans la petite équipe, notamment les fondateurs de 1973, engendrant des débats dans lesquels la rédaction est très partagée[8][réf. incomplète], les contestataires menés par Pierre Goldman l'emportant plusieurs fois. L'affaireBernard Dejager, Jean-Claude Gallien et Jean Burckhardt sont arrêtés le [10] pour avoir eu des rapports sexuels avec des filles et des garçons de 13 et 14 ans. Les circonstances sont suffisamment peu claires pour que l'enquête dure plus de trois ans et deux mois. Les faits auraient eu lieu au Camping Club de France de Meudon[11], le plus ancien club de camping naturiste en France, situé dans la forêt de Meudon[12]. Les trois hommes ont comparu devant la cour d’assises de Versailles pour « attentats à la pudeur sans violence sur mineurs de 15 ans », ce qui à l’époque était qualifié comme un crime. Il apparait au fil de l'enquête qu'ils risquent cinq à dix ans de prison[10]. La tribune libre de Matzneff puis la pétition de soutien aux inculpésLe , dans le journal Le Monde, l'écrivain Gabriel Matzneff publie une tribune libre de soutien aux inculpés, titrée « L'amour est-il un crime ? »[13], dans laquelle il se plaint amèrement du manque de soutien après son intervention dans Apostrophes, la nouvelle émission de Bernard Pivot le , qui lui avait valu de très fortes critiques mais également la plainte d'un téléspectateur estimant que cette apologie de la pédophilie avait nui à sa famille[10]. Deux mois et demi plus tard est diffusée une pétition de soutien au trois inculpés[14], lancée incognito par Matzneff. Le texte proposé à la signature masque aussi la réalité des infractions qui justifient la détention préventive, en parlant de simples « baisers » et « caresses », profitant du fait que le secret de l'instruction a été préservé[15]. Le texte affirme que les enfants n'ont subi « aucune violence », et qu'ils étaient « consentants ». Il ajoute, en outre, un contresens sur la loi Veil, votée après les faits, en 1974 : « si une fille de treize ans a droit à la pilule, c'est pour quoi faire ? ». Le texte estime que les trois inculpés font face à un acharnement disproportionné : « Trois ans de prison pour des caresses et des baisers, cela suffit. » La pétition est signée par diverses personnalités publiques[Lesquelles ?] parmi lesquels des intellectuels connus, qui considèrent qu'il y a une disproportion manifeste entre la qualification de « crime » qui justifie une telle sévérité, et la nature des faits telle que présentés par Gabriel Matzneff, l'auteur caché de la pétition. L'audience au tribunal, montrant que les faits sont plus graves que présenté, n'aura lieu qu'après la pétition, dont le texte insiste sur le fait que les inculpés sont en détention préventive depuis trois ans et deux mois. Réactions divergentesAvant le procès devant la Cour d'Assises, Philippe Verdon et Jean Nicolas, deux journalistes de Rouge, hebdomadaire de la Ligue communiste révolutionnaire, devenu quotidien en , tandis qu'est créé un nouveau concurrent, Le Matin de Paris qui prépare son lancement pour mars 1977.[pas clair] Dans Rouge, Philippe Verdon minimise les faits, estimant que les accusés ne sont coupables que d'avoir fait quelques photographies, tout en s'interrogeant sur la « volonté des révolutionnaires, dont la plupart se tairont sans doute », constate-t-il. Jean Nicolas, de son côté, rappelle la pétition publiée dans les pages opinions du journal Le Monde puis le lendemain dans celles de Libération. Selon eux, c'est le naturisme qui est visé[11]. Ces deux articles précédant le procès sont suivis de réactions dans la rédaction du journal Le Monde, et chez ses lecteurs, parmi lesquels des infirmiers, médecins et instituteurs, qui tiennent à rappeler, dans les semaines qui suivent, les interdits essentiels de la pédophilie, et l'incertitude quant à la réalité des faits, tout comme le fait une autre journaliste de Rouge. Le huis-clos levé à la demande du président de la Cour d'assisesLe président de la Cour d'assises décida ce qu'on appelle la « publicité de l'audience », alors que le huis-clos est habituellement de rigueur dans ce genre d'affaires. Il ne s'agissait pas pour lui d'accabler les accusés, mais de contrer la campagne pétitionnaire menée, en faveur de ceux-ci, au cours des mois précédents. Selon le quotidien Le Monde, l'audience publique démontra qu'en fait « de caresses et de baisers », il s'agissait d'une affaire sordide[15]. Le verdict de la Cour d'AssisesAlors que la pétition du , dont l'audience reste limitée, réclamait essentiellement que le procès ait enfin lieu, il démarre peu après. Les trois inculpés de l'affaire de Versailles sont condamnés, la Cour d'assises prenant en compte le témoignage d'une adolescente montrant que le consentement, notion alors absente du droit concernant la sexualité des mineurs, n'était pas évident pour un enfant de cet âge. Les inculpés sont condamnés à cinq ans de prison avec sursis et ne font pas appel. Ayant déjà effectué trois ans et deux mois de détention préventive, ils sont libérés. Les suites : l'appel du 23 mai 1977Le Monde publie le dans ses pages « Opinion » une « Lettre ouverte à la Commission de révision du code pénal pour la révision de certains textes régissant les rapports entre adultes et mineurs »[16] envoyée par 80 personnalités et intellectuels au Parlement français[17]. Les signataires demandent la révision du code pénal afin de tenir compte de l'évolution des mœurs et mettent en avant trois domaines : le détournement de mineur, le type de juridiction appelé à sanctionner les relations sexuelles avec des enfants de moins de quinze ans, en préconisant le tribunal correctionnel plutôt que la Cour d'assises, afin d'éviter des détentions préventives inadaptées, et l’interdiction des rapports homosexuels quand ils engagent des mineurs de quinze à dix-huit ans[18]. Cet appel pour la révision du code pénal fait explicitement référence à l'affaire de Versailles et au temps passé par les trois accusés en détention préventive[10] alors que le secret de l'instruction n'avait pas permis aux pétitionnaires de janvier de connaître la réalité des faits en cause. Selon l'historien Jean Bérard, certains signataires de la lettre ouverte de mai 1977 tiennent au même moment, juste après le procès, à écarter toute ambiguïté en rappelant leur condamnation de la pédophilie, telle Françoise Dolto qui estime que les relations sexuelles entre mineurs et adultes sont toujours source de traumatisme psychologique[Note 1],[19]. Notes et référencesNotes
Références
Article de presse
Voir aussi |