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Brouette

Une brouette moderne.

Une brouette est un contenant mobile, porté sur une ou plusieurs roues, muni de deux brancards pour le transport humain de petites charges, généralement sur de courtes distances.

C’est un outil ergonomique pour le transport de matériaux ou d’outils sur des terrains qui peuvent être accidentés mais nécessairement peu inclinés. Indispensable sur les chantiers, dans les fermes ou dans les jardins, elle facilite le déplacement de charges qui peuvent être lourdes ou encombrantes. Le principe du levier associé à la position du centre de gravité vers l’aplomb du point d’appui (la roue), lui confère une grande efficacité.

Éléments d’histoire de la brouette

La question des origines

bœuf de bois (zh), invention attribuée à Zhuge Liang (réplique)
Brouette et brancard représentés par Matthieu Paris dans son livre Life of St Alban. Milieu du XIIIe siècle

En histoire, et surtout en histoire des techniques, il est souvent dangereux de supposer forcément ancien ce qui paraît aller naturellement de soi : l’histoire de la brouette semble s’inscrire dans ce principe[1].

En français, le terme apparaît au XIVe siècle. Étymologiquement, selon une opinion majoritaire, il serait un diminutif de beroue, lui-même venant du bas latin birota, véhicule à deux roues, c'est-à-dire une charrette[1]. Dans les langues germaniques, dont l'anglais (où la brouette est appelée wheelbarrow), il apparait comme un dérivé de la racine « porter »[2],[3] accolée à « roue ».

En Chine, l’engin serait une invention apparue vers le Ier siècle, attestée dans des représentations funéraires dès 118 AD. Elle y est appelée « véhicule à une roue poussé à l’aide des mains » (獨輪手推車 / 独轮手推车, dú lún shǒu tuī chē). Selon Robert Temple[4], la brouette aurait même été inventée un siècle av. J.-C., dans le Sud-Est de la Chine, par un personnage semi-légendaire nommé Ko Yu. Il est supposé avoir fabriqué une sorte de mouton en bois et l’avoir monté à travers la montagne. Les brouettes ayant longtemps été décrites comme des « bœufs de bois » ou des « chevaux glissant », il est probable que l’invention de ce personnage légendaire soit la brouette.

Elle est poussée par un homme comme son nom l'indique, mais l'iconographie montre parfois un second homme, un âne ou un cheval auquel est elle accroché à l'avant par une corde et qui aide à la tirer[5].

On y voit également une version agrandie dotée d'une seule roue centrale. Ainsi comparé à la brouette classique, où le porteur en porte une fraction notable de la charge[6], avec son système de roue centrale cette brouette porte la quasi-totalité de la charge lorsqu'elle est équilibrée[7]. Le général Zhuge Liang (181-234), de la période des Trois Royaumes (IIIe siècle) aurait ravitaillé ses armées et transporté ses blessés avec des brouettes, tâche qui paraît pourtant mal convenir à l’engin plutôt performant pour le transport de charges sur de courtes distances. Ils ont également inventé une brouette dotée d’un petit mât et comportant une voile (加帆車, jiā fān chē, « véhicule agrémenté d'une voile »)[7] (probablement au Ve siècle[réf. nécessaire]), permettant de diminuer l’effort humain lorsque le vent est favorable. Ces brouettes à voile sont encore utilisées pour les longs voyages, dans les plaines du Nord et de l'Ouest de la Chine au XIXe siècle[8].

Brouettes du XIIIe siècle.

Il n'est jamais question de brouette dans les textes latins ou grecs, que ce soit chez les géomètres, les agronomes, les mécaniciens ou les architectes[9]. Cependant, une étude de 1994 a mis en évidence la mention dans deux inventaires grecs datés de -408/-407 et de -407/-406, au milieu d'une liste de charrettes (bicycles) et chariots (quadricycles), d'un monocycle , qui pourrait être une brouette [10]. Cela ferait que la brouette aurait été inventée par les Grecs plus de trois siècles avant son apparition en Chine. Quoi qu'il en soit dans cette hypothèse l'invention ne s'est pas répandue et n'a laissé aucune autre trace.

La première représentation européenne date du milieu du XIIIe siècle et nous ne disposons ni de représentations figurées ni de textes précis antérieurs à cette date. La relative abondance des représentations dans la seconde moitié du XIIIe siècle laisse supposer une apparition dans la première moitié de ce siècle.

Dans aucune scène agricole, domaine où les miniatures sont nombreuses, on ne voit de brouette. Les représentations de travaux miniers, où la brouette tiendra une place importante, sont inexistantes avant le XVIe siècle[11]. Il existe des légendes qui attribuent l’objet à un certain Dupin voire à Pascal, tous deux vers 1650. En fait, on nommait ironiquement[12] « brouette » ou « vinaigrette » une chaise à porteur à deux roues apparue à cette époque[13] et l’invention en a été effectivement attribuée à Pascal, même si aucune source sérieuse ne le confirme.

Une diffusion assez lente

Chantier de construction de la basilique Sainte-Marie-Madeleine de Vézelay illustré entre 1448 et 1465.
La plus ancienne brouette conservée en Europe, vers 1537 (musée municipal d'Ingolstadt (de)).

Malgré l’intérêt évident de l’engin, toujours utilisé dans les campagnes et sur les chantiers, la diffusion de la brouette semble avoir été assez lente et pour des usages limités, comme le suggèrent des illustrations plus tardives où coexistent encore le brancard et la brouette. Il se pourrait que la brouette (véhicule à une roue) n’ait pas été très répandue en Europe avant le XVe siècle, date à partir de laquelle on constate nombre de mentions[9]. Aucune représentation de l’engin n’est visible dans les carnets des « ingénieurs » de la Renaissance.

En 1798, à l’époque de l’expédition de Bonaparte au Caire, Abd al-Rahman al-Jabarti consignera dans son journal les preuves de sa méconnaissance de l’outil[14] :

« Ils [les Français] recouraient à des instruments faciles à manier et épargnant la peine, ce qui permettait une exécution rapide des travaux. Ainsi, au lieu de paniers ou de récipients, ils utilisaient de petites charrettes qui avaient deux bras allongés par-derrière ; on les remplissait de terre, d’argile ou de pierres […] ensuite on prenait en main les deux bras, on poussait devant soi et la charrette roulait sur sa roue avec la moindre peine jusqu’au chantier ; on les vidait enfin, en la penchant d’une main, sans aucune fatigue. »

En 1821, des agronomes français regrettaient qu’elle ne soit pas connue dans plusieurs régions françaises.

D'autres indices quant aux modalités de cette lente diffusion sont accessibles grâce au chantier du canal de Suez (1859-1869), à l'occasion duquel les agents de la Compagnie découvrent que la brouette, d'un usage banal en Europe pour les travaux agricoles ou du génie civil, est inconnue en Égypte. Plus surprenant, diverses tentatives pour faire utiliser la brouette par les fellahs égyptiens se soldent par des échecs. Ainsi, l'objet technique ne porte pas en lui l'usage qui en est fait, ni les gestes qui lui sont associés. Il ne présage pas non plus des obstacles culturels auxquels peuvent se heurter des tentatives de transfert technique, ni des choix d'engagement dans des trajectoires technologiques données.

La brouette ne s’est pas imposée partout.

Plus tard, les économistes s'empareront du débat pour souligner cette lenteur dans la diffusion de l'engin qui semble paradoxale au regard de sa simplicité technique. Angus Maddison[15], s'interrogeant sur les origines de disparités de développement, prend l'exemple de la brouette pour souligner l'importance du processus d'imitation. Selon lui, la brouette serait passée de la Chine vers l'Europe, mais des siècles plus tard, malgré les contacts privilégiés entre l'Inde et l'Occident, les charges restaient portées sur la tête par les travailleurs indiens, comme elles le sont d'ailleurs toujours en Afrique.

Les archéologues de l'Institut français d'archéologie orientale du Caire se heurtent aujourd'hui au même type de difficultés que leurs prédécesseurs lorsqu'ils prescrivent l'utilisation de la brouette sur leur chantier de fouille[14].

Si le principe mis en œuvre est resté le même, l'objet a connu quelques améliorations depuis : brouette motorisée, brouette pliante ou brouette à roue équipée d'un pneumatique. James Dyson a proposé en 1974 la Ballbarrow, une brouette à roue sphérique[16].

Une variation moderne de la brouette est utilisée en février 1971 par les astronautes d'Apollo 14, qui font usage d'un Mobile Equipment Transporter, ou « brouette lunaire », pour transporter les échantillons de roches lunaires.

La brouette dans les textes

Les textes, en Europe, sont à la fois tardifs et ambigus dans la mesure où nous ne sommes jamais assurés qu’il s’agisse bien d’un véhicule à « une roue. » La plus ancienne mention est extraite de la chronique rimée de Philippe Mouskes, chanoine et évêque, datée des environs de 1270 mais dont le contexte laisserait plutôt penser à un véhicule à deux roues tiré par un attelage :

Et li bourgois de totes pars,
Karaites ont quises et cars,
Bourouettes, ribaus, soumiers,
Roucis et jumens et coliers.

Victor Gay[17], dans son Glossaire archéologique du Moyen Âge et de la Renaissance, cite des textes de 1342, de 1360, de 1380 et de 1382. À partir du XVe siècle, on note une véritable explosion de textes, de mentions et d’images.

D’après les comptes de la ville d’Amiens de 1401 « Jehan de Remy, Caron, refit par deux fois la brouette qui sert aux paveurs, à laquelle il fist le cavech, le fons, les barres et une grande def en bois » (c’est-à-dire la caisse, le fond, les bras et le grand essieu). Faut-il en conclure que la voirie d’Amiens ne possédait qu’une brouette et s’en étonner ?

Étude technologique de la brouette

Une brouette type « de gare » moderne.

Analyse fonctionnelle

Fonction principale, définition

La brouette répond au besoin « augmenter la capacité de transport d’objets divers par un homme seul, sur voie à aménagement rudimentaire. » On peut donc la définir comme objet technique « agent de transport » permettant d’augmenter, etc.

Remarque : comme pour pratiquement tout objet technique, ce n’est pas la seule réponse à ce besoin, de même que l’objet technique ne porte pas en lui sa fonction principale, et peut donc être utilisé à bien d’autres choses[18].

Constitution de la solution « brouette »

Sous-ensembles fonctionnels de la brouette occidentale.

La brouette se compose de cinq sous-ensembles :

  1. le châssis : constitué de deux brancards solidarisés, fonction support de l’ensemble ;
  2. les poignées : fonction préhension, commande et transmission de l’énergie : c’est l’interface utilisateur ;
  3. le porte-charge : contenant du transportable, c’est la fonction outil (on appelle fonction outil la fonction du sous-ensemble qui en dernière analyse assure la fonction de l’ensemble), réalisée par un simple plateau plus ou moins équipé de parois, une benne (nommée caisse, cuve, coffre, etc.) ou un équipement spécifique ;
  4. le système roulant : permet le déplacement par roulement (frottements minimum) en supportant une partie de la charge ;
  5. le pied (paire ou barre) : assure avec la roue, une base polygonale d’appui stable, pour les périodes d’utilisations statiques (chargement, par exemple).

Variantes – classification

Les différentes variantes d’un objet technique peuvent se classer selon les solutions apportées pour réaliser les fonctions nécessaires. Cela dit, pour des objets techniques très populaires, le langage courant donnera un même nom à des objets assez éloignés, ou donnera un nom spécifique à d’autres, qui à l’évidence ne sont que de simples variantes. La classification ci-dessous va donc intégrer des objets comme le diable et laisser de côté des « brouettes à neige »[19] ou des « brouettes à chenille »[20].

Variantes selon le nombre de roues
  • Si la brouette selon son étymologie a deux roues, c’est surtout lorsqu’elle n’en a qu’une qu’elle se caractérise comme « brouette. » Toutefois, quand elle a deux roues, celles-ci sont coaxiales.
Critiques : La brouette à deux roues permet de plus grandes contenances, plus stable elle peut se conduire d’une seule main mais elle est très difficile, voire éprouvante, à mener sur les terrains accidentés tandis que la brouette à une roue se joue des irrégularités du terrain. Par ailleurs la place nécessaire pour manœuvrer la brouette à deux roues dépend de la largeur de l’essieu.
  • On rencontre quelques cas anecdotiques de brouette à trois roues (en étoile, pour descendre les escaliers) ou à quatre roues (les pieds sont équipés de roulettes)
Variantes selon la position de l’axe de roue par rapport à la charge
  • à l’avant (le plus courant) ;
  • dessous (voir illustration « brouette du Tonkin ») ;
  • au milieu : en porte-à-faux à l’extérieur pour les deux roues – avec un carénage en milieu de caisse pour les mono-roues.
Variantes selon la position du porte-charge
  • le porte-charge est sur les brancards : c’est le type de la brouette contemporaine standard. Cette disposition permet le report de charge vers l’axe de roue, mais l’étude des représentations les plus anciennes montre que cette possibilité est restée longtemps inexploitée. Ces variantes sont plutôt caractéristiques de l’extrême occident de l’Europe et du bassin méditerranéen.
  • le porte-charge est suspendu sous les brancards (complètement ou partiellement) qui ne permet pas de report de charge efficace vers la roue mais offre une plus grande stabilité. Ces variantes sont représentatives du centre de l’Europe, et en particulier de l’Allemagne. Une représentation est visible dans De Re Metallica de Georgius Agricola (Bâle, 1556).
Variantes selon la forme du porte-charge
  • simple plateau, ou traverses réunissant les brancards sur lesquelles on pose les objets à transporter : brouette à porc (voir illustration ci-dessus) ;
  • plateau avec dossier : ancienne brouette des gares, diable ;
  • plateau avec dossier et ridelles (amovibles ou fixes), c’est la traditionnelle brouette en bois des campagnes ;
  • cuve en tôle permettant le transport de granulés et liquides ;
  • porte-charge spécialisé : citerne, tonneau, bétonnière, etc. Ce sont généralement des engins à deux roues.
Variantes selon la position des pieds
  • Entre les poignées et la roue (position ordinaire)
  • En avant de la roue (famille des « diables » : valise à roues[21], sac à provisions à roulettes, etc.)
Illustration du report de charge avec la variante « cuve-tôle sur brancard » utilisée pour un liquide (avec la fonction supplémentaire d’un « nez, » donnant un appui stable au déversement par l’avant).

Analyse mécanique

La brouette présente deux intérêts majeurs pour le transport des marchandises : d'une part la roue réduit la résistance à l’avancement, d'autre part la roue porte une grande partie du poids et soulage l'utilisateur (ou lui permet de tranporter des charges plus lourdes). Pour la mécanique, la brouette est essentiellement un levier de la seconde classe dont le point d'appui est une roue, ce qui permet de calculer la proportion supportée respectivement par la roue et l'utilisateur, que le sol soit plan ou incliné (en montée ou en descente). Quand on regarde plus en détail en tenant compte également, de l'avancement, du renversement et du basculement, il faut tenir compte de la surface de sustentation, qui est dans ce cas un triangle formé par la roue et les pieds du porteur (donc très étroit), la brouette apparaissant alors plutôt comme une paire de leviers (un pour chaque main, ou plutôt chaque pied, de l'utilisateur).

La roue

La sensibilité d’une roue aux aspérités du terrain.

La taille de la roue est d’une grande influence sur le comportement d’un véhicule. Elle doit être de diamètre très grand devant les aspérités du terrain pratiqué, au risque, dans le cas contraire, de provoquer des trésautements nuisibles, désagréables et qui réduisent le rendement, voire de se caler. L'utilisation d'un pneu fait que la roue se comporte, sous cet aspect, comme si elle était d'un diamètre augmenté, mais au prix d'une légère perte de rendement.

Si la position en porte-à-faux des roues de charrette autorise des grandes tailles, l’étude ci-dessous montre que dans le cas de la brouette il existe une limite à ne pas dépasser. En effet, agrandir la roue éloigne le point d'appui du levier et augmente la charge pour l'utilisateur.

Influence de la position longitudinale de la caisse

L'utilisateur doit pousser mais aussi aussi supporter une partie de la charge. La proportion qu'il porte est égale au ratio de deux distances horizontales, celle de la charge au point de contact de la roue au sol, et celle de ce même point aux pieds du porteur. Il est donc interessant, sous cet aspect, de rapprocher au maximum la charge vers la roue (cependant, cela affecte le risque de faire sortie la charge du triangle de sustentation et de provoquer un basculement latéral, Cf. section suivante).

Cela peut se montrer par une étude mécanique statique.

La considération de l’équilibre du châssis d’une brouette sur un sol sans déclivité amène à considérer trois actions mécaniques extérieures modélisables par des forces.

  • le poids de l’ensemble constitué de la brouette et de son chargement, représenté par une force appliquée au centre de masse G ;
  • l’action de la roue sur le châssis, représentée par une force appliquée au centre de la liaison C. Une étude préalable de la roue seule prouve que cette action est bien perpendiculaire au sol si la liaison pivot entre la roue et la brouette est parfaite (sans frottement) ;
  • l’action du pousseur sur les poignées, représentée par une force appliquée au point M. Cette action est en partie inconnue, et sera déterminée par cette étude.
Équilibre statique d’une brouette.

Dans le cadre de la statique du solide, les lois de Newton nous donnent deux relations entre ces trois forces pour que l’équilibre soit respecté:

  • la somme des forces est nulle:
    (1): ;
  • la somme des moments est nulle; en les exprimant par exemple au centre de la roue C, on obtient la relation suivante:
    (2): M(P)C + M(R)C + M(F)C = 0.

Comme le poids et l’action du sol sont verticaux, nécessairement pour que l’égalité vectorielle (1) soit possible, l’action du pousseur l’est aussi. Au niveau de la position du rouleur, l’équilibre est obtenu lorsque les articulations des épaules se trouvent dans un même plan vertical que les poignets et les appuis au sol. Alors l’équation traduit le fait que la roue et le pousseur se partagent la charge.

, soit en intensité : P = R + F.

L’écriture des moments au point C choisi aboutit à l’annulation d’un des termes et donne une relation directe entre le poids et l’action du pousseur soit :

(2) : M(P)C + M(F)C = 0.

En développant cette équation, on obtient une relation liant les intensités de ces efforts aux dimensions de la brouette, soit a P – b F = 0 ou encore F = P a/b.

Cette relation décrit ce qu’on appelle l’effet de levier en appui ici sur la roue. Donc, pour soulager le pousseur, c’est-à-dire réduire l’intensité de la force nécessaire pour soulever les poignées, il existe trois démarches :

  • limiter la charge dans la brouette pour réduire P, ce qui est contraire à l’intérêt.
  • diminuer le rapport a/b soit en :
    • augmentant b c’est-à-dire en allongeant les brancards, ce qui peut rendre l’engin moins maniable au-delà d’une certaine longueur,
    • diminuant a, ce qui veut dire qu’à l’extrême il faut placer la roue sous la brouette. Ainsi si cette valeur est nulle, le pousseur n’a plus à forcer pour soutenir la charge : c’est exactement la géométrie adoptée sur les charrettes à bras ou encore le pousse-pousse. Cette solution est également mise à profit avec le diable qui est généralement employé pour déplacer des charges lourdes et encombrantes. La solution impose une diminution de la taille de la roue pour que le seuil de chargement reste bas, ce qui rendrait la brouette plus sensible aux accidents du terrain du fait d’un équilibre plus précaire, d’où l’adoption de deux roues pour le diable. Par ailleurs, la forme inclinée de la paroi avant de la caisse contribue à la diminution de a en rapprochant le centre de masse de l’avant : c’est une modification qui a été constatée dans l’évolution historique de l’engin.

À présent si la brouette est mise en mouvement, il faut ajouter à l’action du pousseur une composante parallèle au sol, égale à la quantité d’accélération (m g). Le bras se penche alors dans le sens imposé de la marche. Cette poussée est indépendante de la géométrie de la brouette. Le problème est le même (mise en mouvement) avec une charrette (2 roues) ou un « chariot » (qui a généralement 4 roues). L’entretien du mouvement demande cependant un effort qui dépend de la résistance au roulement liée à la nature du sol et de la roue. Un sol dur rend bien mieux qu’un sol gras ou de l’herbe trop haute.

Équilibre dans une pente

Enfin lorsque la brouette est dans une pente, l’action du sol n’étant plus parallèle au poids, nécessairement l’action du pousseur est affectée.

Dans une montée (roue de la brouette en amont), les trois droites d’action mécanique se rencontrent au-dessus du sol. Le pousseur doit se pencher en avant pour maintenir l’engin. Le cas représenté, défavorable si on maintient l’assiette de la brouette, montre que l’intensité de l’action du pousseur reste toutefois raisonnable. Seule sa direction est problèmatique. Elle est matérialisée par une droite joignant les poignets aux appuis au sol ; c’est aussi la direction des bras alors tendus. La configuration est la même pour la descente ou la montée, l’effort du pousseur (tracteur) étant soit moteur (pour faire avancer) soit résistant. Cependant par rapport à une utilisation sur le plat, et dans le cas du pousseur, l’effort d’avancement est bien décuplé.

Dans une descente (roue en aval) tout est inversé. Le point de concours des droites de forces est au-dessous du sol. L’étude montre, là aussi que, l’intensité de l’action du pousseur est à peu près la même. À cela s’ajoute le problème du contenu, surtout s’il est liquide. Dans une montée on peut corriger l’assiette en soulevant la brouette, dans une descente cela n’est plus possible dès que les pieds touchent le sol.

Aptitude au basculement

Une vue frontale de la brouette chargée permet de prendre en considération le risque de basculement. Du fait de la roue centrale, l’équilibre s’apparente à celui du levier inversé, et le pousseur devient en quelque sorte aussi jongleur.

Lorsque la brouette est bien droite avec un chargement équilibré, le pousseur soulève les poignées en exerçant deux forces identiques (et égales à la moitié de celle déterminée dans l’étude précédente). Le problème survient lorsque le chargement n’est plus équilibré ou que la brouette n’est plus parfaitement verticale. Alors l’action du poids de l’ensemble n’est plus dans le même plan vertical que le contact du sol sur la roue. Ce décalage induit un couple de renversement auquel le pousseur doit immédiatement s’opposer, en exerçant sur les poignées des actions désormais différentes.

Une première étude qualitative montre qu’il y a alors besoin d'un frottement au niveau du contact sol/roue, ayant l'effet d'un rail guidant la roue, qui peut alors s’incliner. Dans le cas contraire, si le coefficient de frottement est trop faible, sur de la glace par exemple, la roue dérape et la brouette se retourne immédiatement et inévitablement. Ce frottement nécessaire produit une résistance au roulement négligeable.

Brouette en équilibre et brouette se renversant (vue frontale du problème).

À présent l’étude quantitative des efforts entrant dans le maintien de la brouette en phase de renversement peut aboutir, dans une première approximation (en supposant que l’action de redressement de la brouette n'est opérée que sur une seule poignée, cas assez réaliste et suffisant pour l'étude).

L’écriture de l’équilibre au point de contact sol/roue des moments de force donne la relation entre le poids porté par la roue et la force exercée par le pousseur , en plus de celle qu'il exerce pour soutenir la fraction du poids qui repose sur ses bras (qui existe toujours même si on peut l'écarter de l'étude du basculement). Le moment provoquant le basculement doit être inférieur à celui exercé par l'utilisateur pour redresser l'équipage  :

, soit .

On détermine alors l’action du pousseur :

.

Remarque : cette valeur correspond à un minima de l’intensité du fait de la direction optimale de cette action mécanique choisie pour l’étude.

Pour limiter cet effort, on peut :

  • réduire la charge de la brouette, ce qui est contraire à la raison de l'utiliser ;
  • déplacer la charge vers les bras, ce qui présente le même inconvénient ;
  • abaisser le centre de masse de l’ensemble , ce qui est difficile si la roue est en dessous de la caisse ;
  • augmenter la longueur du bras de levier , donc celle de en élevant la position des poignées et celle de en les écartant ;
  • ajouter des pieds sur les côtés, qui toucheront rapidement le sol et bloqueront le basculement ;
  • agir rapidement pour redresser la brouette. Le terme en sinus () montre que si pour une faible inclinaison (quelques degrés) le rétablissement ne pose pas de problème, la situation devient vite désespérée : dans le cas d’un chargement fluide (même visqueux, comme du béton ou du bitume), la forme évasée de la caisse amplifie le déséquilibre en déportant à la fois vers le haut et du mauvais côté le centre de masse.

Conclusions constructives

La taille de la roue doit être suffisamment grande pour s’adapter aux conditions de terrain mais rester limitée de façon à avoir une hauteur acceptable pour le seuil de chargement. Le châssis doit positionner la caisse au plus près de la roue, et le plus bas possible dans un objectif de stabilité au roulage. Par contre le déversement final du contenu sera facilité par une position plus haute de la caisse… au risque d’un accident en cours de transport. Les poignées doivent être remontées sans pour autant faire lever les coudes du pousseur au niveau des épaules, et suffisamment écartées pour lui donner le plus d’efficacité dans le maintien de l’équilibre.

Perspectives

Combinaisons techniques évolutives aboutissant à la brouette.

La brouette constitue un objet d’étude singulier et un bon thème de réflexion critique pour l’historien des techniques. L’objet pourrait avoir joué un rôle plus important qu’il n’y paraît en facilitant grandement les travaux de voirie et des champs. Dès le XVIe siècle, les manufacturiers des villes s’intéressent à la main-d’œuvre paysanne régulièrement oisive du fait de la saisonnalité des travaux agricoles. Dans ce contexte le travail à domicile va se développer notamment dans le cadre de la production textile. Ainsi la brouette sera mise à contribution pour la circulation des marchandises par les peigneurs, les fileurs et autres tisserands comme à Tourcoing où les habitants prendront le surnom de Broutteux.

D’une façon générale, l’innovation peut-être analysée comme un changement de fonction de production[22]. De Karl Marx à John Hicks, le débat a longtemps consisté à savoir si le biais systématique dans ce changement consistait en une économie de capital ou une économie de main-d’œuvre. Un argument en faveur de cette dernière réside dans la propension de l’homme de développer des moyens techniques pour s’ôter de la peine : ce principe correspond au « détour de production »[23]. L’analyse philologique de la brouette proposée ci-contre reste purement spéculative mais illustre parfaitement ce concept. Pourtant, elle met également en évidence la pertinence des progrès d’organisation et d’économie du capital…

Le développement des nanotechnologies montre que le modèle continue d’inspirer les techniciens contemporains avec la nano brouette[24], le plus petit mécanisme du monde à ce jour.

Autour de la brouette

Dans la littérature et dans les arts

L’Angélus de Jean-François Millet.
K. A. Sawiskij, Travaux de réparation sur une ligne de chemin de fer Constantin Savitski, 1874.


Héraldique et brouette

  • Peu présente dans les blasons, on trouve toutefois une brouette dans le cimier dans les armoiries des Îles Pitcairn.

Polysémie du mot brouette

  • En rapport avec sa forme, la « brouette » est le nom d’une position sexuelle entre deux partenaires.
  • Être « en cuir de brouette » signifie être dur, raide, en bois. Expression trouvée chez George Sand (Le Meunier d’Angibault), Eugène Sue (Les Mystères de Paris), Henri Pourrat (Les Vaillances, farces et aventures de Gaspard des montagnes)…
  • « Se faire barouetter » (déformation de brouette dans le langage populaire) est une expression franco-canadienne signifiant, au propre ou au figuré : se faire transporter de-ci de-là, sans ménagement[27]. Brouette est souvent prononcé et dit barouette, notamment au Québec et dans le patois marnais[28]. Au Québec, dans le langage parlé, le mot brouette est couramment remplacé par barouette.

Jeux d’enfants (petits ou grands…)

Course de brouettes des artistes de Paris au vélodrome Buffalo en 1906.
Jeu de la brouette.
Brouette en plastique pour enfant.

Le jeu de la brouette consiste pour deux personnes à simuler la poussée d’une brouette, l’un jouant le rôle de l’outil, l’autre le poussant. Ainsi, un des deux partenaires marche le corps à peu près à l’horizontale, en avançant sur les mains, les chevilles maintenues par le second. Les équipes de deux font la course.

Les courses de brouettes se pratiquent aussi, avec de véritables brouettes, portant un chargement quelquefois humain, le plus souvent sous forme de parcours plus ou moins « acrobato-humoristique ». Certaines collectivités locales organisent traditionnellement de telles courses, à l'instar par exemple de Saligny (en Vendée), qui n'hésite pas à se qualifier de « Capitale de la Brouette ».

Les brouettes sont par ailleurs construites à l’échelle des plus jeunes et constituent un jouet apprécié.

Décoration

Façade et brouette fleurie.
Brouette porte-jardinière.

La brouette est souvent utilisée comme simple décoration dans les jardins, le plus souvent en porte-fleurs. Il s’agit au départ de brouettes traditionnelles, plus ou moins hors d’usage et « recyclées » à cet usage. Mais en raison du succès, une production spécifique de brouettes décoratives et fantaisistes[29] a vu le jour, en bois plus ou moins ouvré[30], en vannerie[31], en fer forgé, etc.

En images d’hier et d’aujourd’hui

Notes et références

  1. a et b (Gille 1983, p. 81)
  2. https://en.wiktionary.org/wiki/barrow
  3. https://en.wiktionary.org/wiki/Reconstruction:Proto-Germanic/beran%C4%85
  4. Robert Temple, Le Génie de la Chine, Editions Philippe Picquier, 2002, (ISBN 2877305112)
  5. Gazagnadou 2007.
  6. La proportion variera en fonction de la position de la charge par rapport à la roue, cf. la section analyse mécanique plus loin.
  7. a et b Kris De Decker (trad. Camille Martin), « Créer un réseau de transports léger: La Brouette Chinoise », Low-Tech Magazine,‎ (lire en ligne)
  8. Louis Strauss, La Chine, son histoire, ses ressources, (BNF 31413110, lire en ligne)
  9. a et b Petites questions et grands problèmes : la brouette, p. 83.
  10. M. J. T. Lewis, « The Origins of the Wheelbarrow », Technology and Culture, vol. 35, no 3,‎ , p. 453-475 (69 ref.) (ISSN 0040-165X, DOI 10.2307/3106255)
  11. Petites questions et grands problèmes : la brouette, p. 86.
  12. cf. Dictionnaire de Furetière
  13. Voir illustration
  14. a et b Nathalie Montel, Faire l’histoire des usages des objets techniques : formules, projets et pratiques. L’exemple de brouettes sur le chantier du canal de Suez (1859-1869), p. 5. Séminaire « Objets, » LATTS (Laboratoire Techniques, Territoires et Société)
  15. Angus Maddison, When and Why did the West get Richer than the Rest ?
  16. (en) Biographie de James Dyson sur www.ideafinder.com
  17. Gay, Victor : Glossaire archéologique du Moyen Âge et de la Renaissance, 2 vols. Paris, 1928
  18. Voir par exemple Freestyle avec une brouette.
  19. Brouettes à neige
  20. Brouettes à chenille
  21. Valise à roues
  22. Histoire des techniques., p. 1051.
  23. Histoire des techniques, p. 1053.
  24. Nano brouette
  25. Au-delà de l’image poétique, l’association entre le paon et la brouette possède une justification étymologique. Jules Quicherat, vers le milieu du XIXe siècle, dans ses deux dictionnaires, français-latin et latin-français, donne comme équivalent à brouette, véhicule à une roue, le latin pabillus. Le mot aurait été employé par un compilateur Aelius Lamprilus, au début du IVe siècle, dans la vie d’Héliogabale, comme diminutif de pabo, petit char à une roue, sorte de brouette. La seconde mention, sous le terme de pabo ou de pavo (qui désigne un paon), toujours pour un véhicule à une roue, figure dans le glossaire d’Isidore de Séville, au VIe siècle, citation reprise par le lexicologue français Du Cange. Mais nous savons que ce texte d’Isidore de Séville ne nous est connu que par des manuscrits très postérieurs, qui comportent quantité d’ajouts tardifs.
  26. Edmond Rostand, La Brouette
  27. J'en peux pus de m'faire barouetter, d'faire rire de moé à cœur d'année, j'en peux pus, chus trop fatigué…, tiré de Monologues, Yvon Deschamps Éd. Leméac, 1973.
  28. Barou n.m., ou Barouette n.f. Brouette
  29. Brouettes décoratives et fantaisistes
  30. Brouettes en bois plus ou moins ouvré
  31. Brouettes en vannerie

Voir aussi

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Bibliographie

  • Bertrand Gille, « Petites questions et grands problèmes : la brouette », dans La Recherche en histoire des sciences, Paris, Seuil, coll. « Point », , 79–88 p. (ISBN 2-02-006595-9) (première publication : Bertrand Gille, « Petites questions et grands problèmes : la brouette », La Recherche, Paris, no 110,‎ , p. 479-482)
  • Sous la direction de Bertrand Gille, Histoire des techniques, Paris, Gallimard, « Encyclopédie de la Pléiade », 1978. (ISBN 978-2-07-010881-7)
  • M. J. T. Lewis, « The Origins of the Wheelbarrow », Technology and Culture, vol. 35, no 3, juillet 1994, p. 453–475.
  • Robert Temple, Le Génie de la Chine : 3000 ans de découvertes et d'inventions, Éd. Philippe Picquier, 2007. (ISBN 2-87730-511-2).
  • Viollet-le-Duc, article « Brouette », Dictionnaire du mobilier, Paris, 1872, t. I.
  • Marquis de Camarasa, Causeries brouettiques. Notes, croquis, schémas, dessins pour un traité historique, bibliographique, étymologique, philologique, théorique, comparatif, technique, philosophique, politique, artistique, critique, sportif, touristique et pittoresque de la brouette, Madrid, 1925.
  • J.M. Massa, « La Brouette », Techniques et Civilisations, 1952, t. II, p. 93–95.
  • Frieda Van Tyghem, Op en Om, de Middeleeuwse Bouwerf, Bruxelles, 1966, 2 vol., dont un de planches.
  • Didier Gazagnadou, « L’introduction tardive du diable et de la brouette au Moyen-Orient : Un problème pour l’anthropologie des diffusions », Temps, corps, techniques et esthétique, vol. 48-49,‎ , p. 255-268 (DOI 10.4000/tc.2792, lire en ligne)
  • (en) Joseph Needham, Science and Civilisation in China, vol. 4, part II, Cambridge, Cambridge University Press, , section 27

Liens externes

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