Le musée des Beaux-Arts de Caen, situé à Caen, en Normandie, a été fondé en 1801. Entièrement détruit par les bombardements de , il est reconstruit à partir de 1967. Il rouvre ses portes en juin 1970, puis il est inauguré le suivant.
Afin d’exposer les toiles confisquées aux émigrés ou acquises lors des guerres révolutionnaires et napoléoniennes, Jean-Antoine Chaptal, ministre de l’Intérieur, choisit, le 14 fructidor an IX (), quinze villes destinées à recevoir de grands dépôts de tableaux. Choisie pour son renom universitaire et sa qualité de capitale culturelle de la Normandie, la ville de Caen se montre peu enthousiaste, car l’article 4 de l’arrêté Chaptal précise que « les tableaux ne seront envoyés qu’après qu’il aura été disposé aux frais de la commune une galerie convenable pour les recevoir »[2].
Les tableaux retirés des églises et des communautés religieuses pendant la Révolution ayant déjà été regroupés à partir de 1795 dans l’ancienne église Sainte-Catherine-des-Arts (rebaptisée en 1802 église Notre-Dame-de-la-Gloriette)[3], le maire Jean-Baptiste Daigremont Saint-Manvieux pense installer le musée dans cette ancienne église érigée à la fin du XVIIe siècle par les Jésuites[4]. Mais le 5 brumairean X, décision est finalement prise d’utiliser l’aile gauche de l’ancien séminaire des Eudistes, déjà en partie occupé depuis 1792 par l’administration municipale[4]. Le préfet du Calvados demande le que l'on confère le titre de « commissaire près le musée de Caen » à François-Pierre Fleuriau, professeur de dessin à l’école centrale du Calvados[5]. Afin d’enrichir le fonds déjà constitué à la Gloriette, le nouveau conservateur choisit en 1804 quarante-six toiles de différents artistes (Véronèse, Poussin...)[6], faisant du lot de Caen le plus important après celui de Lyon. Le conservateur complète par ailleurs les collections du nouveau musée. Il tente même, sans succès, de faire transférer à Caen la tapisserie de Bayeux[7].
Les travaux d’aménagement du musée avancent très lentement. En 1806, le préfet, Charles Ambroise de Caffarelli du Falga, refuse d’autoriser les crédits votés par la municipalité pour la reprise des travaux. Les sommes sont débloquées dans le budget de 1809 et le projet peut être mené à son terme[8]. En , on transfère les tableaux qui avaient été entreposés dans l’ancienne église des Jésuites et le musée est officiellement ouvert au public le [9]. Le conservateur dirige également l’école municipale de dessin fondée en 1804[10].
Développement du musée et premières monographies
À partir de 1811, le nouveau conservateur, Henri Élouis, enrichit les collections, notamment grâce à un nouveau lot de 35 peintures attribuées par le ministre de l’Intérieur[11]. En 1815, les Prussiens campent dans le rez-de-chaussée de l’ancien séminaire des Eudistes pour réclamer la rétrocession des toiles confisquées en Allemagne[12]. Élouis dissimule alors les toiles les plus importantes : selon la légende, il cache l’Abraham et Melchisédech de Rubens sous la table utilisée pour le dîner des officiers prussiens[13]. Après la restitution de cinq toiles sans importance majeure[14], les Prussiens quittent la ville. La Belgique réclame ensuite le retour des toiles de grands maîtres bruxellois, mais le conservateur et le maire de Caen, Augustin Le Forestier, comte de Vendeuvre, parviennent à enrayer cette nouvelle crise[15]. Henri Élouis enrichit les collections grâce à des envois de l'État ou des acquisitions[16].
La deuxième moitié du XIXe siècle est plus calme : la période est davantage à l’étude des collections. En 1837, Georges Mancel rédige le premier catalogue du musée[14] et, dans les années 1850, les premières monographies consacrées aux collections sont éditées. Alfred Guillard, le successeur d’Élouis de 1841 à 1880, mène une politique d’acquisition assez timide[17], mais une série de legs permet au musée d’exposer une centaine de toiles supplémentaires. En 1853, la ville accepte un legs de Pierre-Aimé Lair constitué de 141 tableaux, dont une grande partie provenait de la galerie de Jean Regnault de Segrais[18]. Celui de la baronne de Montaran en 1858, comprenant trois toiles de François Boucher, une vingtaine de Théodore Gudin et une de Pierre Mignard[19], est le plus remarquable et l'ensemble de ces pièces sont rassemblées dans un salon aménagé à cette intention[20]. En 1856, le musée s'agrandit en occupant l'aile reliant le musée à la bibliothèque de Caen[21].
La plus importante donation de l’histoire du musée est celle de la collection Mancel, en 1872. Elle est léguée par le libraire caennais Bernard Mancel, qui avait acheté en 1845 une grande partie de la collection du cardinal Fesch, oncle de Napoléon Ier, à Rome[22]. Elle est composée d’un lot de plus de 50 000 œuvres : estampes de Dürer, Rembrandt ou Callot, ainsi qu’une trentaine de toiles dont le Rogier van der Weyden (La Vierge à l'Enfant). Un an plus tard, la famille du colonel Jean-Charles Langlois lègue les 256 toiles représentant des batailles et panoramas militaires. En 1888, ces toiles sont transférées dans le pavillon des sociétés savantes aménagé aux frais de la nièce du colonel Langlois pour former le musée Langlois.
Affaiblissement du prestige du musée à partir des années 1880
À partir de 1880, les nouveaux conservateurs, Xénophon Hellouin, puis Gustave Ménégoz font surtout l’acquisition d’œuvres régionalistes d’intérêt exclusivement local, exposées au rez-de-chaussée de l’ancien séminaire des Eudistes, aménagé en musée d’art et d’histoire normande. Malgré le don par le docteur Jacquette, maire de Fervaques, de tableaux de Courbet, Boudin et Lépine, la peinture moderne, notamment impressionniste, reste pratiquement absente du musée.
Alors que d’autres villes construisent de grands musées pour abriter leurs collections, le musée des Beaux-Arts de Caen reste à l’étroit dans une aile de l’hôtel de ville. Les bâtiments sont dans un état précaire et, le , une partie des collections sont la proie des flammes. Plusieurs œuvres de l’école hollandaise et flamande sont perdues, ainsi que La Bataille d’Hastings de François-Hippolyte Debon[25], œuvre qui bénéficiait alors d’une certaine popularité pour sa composition romantique et son sujet, présentant la victoire des Normands sur les Anglais dans un contexte de forte tension internationale. L’incendie fait scandale et la presse locale et nationale réclament une réorganisation du musée. Le conseil municipal décide alors la construction du musée dans de meilleures conditions de sécurité et d’éclairage. Les édiles envisagent d’organiser une loterie afin d’ériger un nouveau musée sur le terre-plein de la place de la Préfecture (actuelle place Gambetta)[26]. Mais l’idée est rapidement abandonnée et le musée reste dans un état précaire.
La destruction en 1944 et la reconstruction en 1970
En 1934, Louis-Édouard Garrido est nommé conservateur. À partir de 1938, il entreprend une restauration du musée et améliore l’éclairage des œuvres. Mais les travaux sont interrompus par la Seconde Guerre mondiale. 360 peintures, la collection Mancel, la commode de Bernard van Riesen Burgh ainsi que d’autres objets d’arts sont transférés au prieuré Saint-Gabriel[27], à l’abbaye de Mondaye et au château de Baillou. Le , l’ancien séminaire est en grande partie détruit et le dernier bombardement aérien des Alliés, le , détruit ce qui était encore resté debout[28]. 540 tableaux (grands formats, collections du XIXe siècle et un grand nombre d’anonymes du XVIIe siècle), les 400 dessins du cabinet des dessins, les meubles, les objets d'art, les sculptures, ainsi que les archives, les inventaires et les cadres disparaissent[29]. Une grande partie du musée Langlois est également bombardée et la moitié des œuvres exposées détruites.
On envisage de déplacer le musée dans l'abbaye aux Hommes, dans l'église Saint-Nicolas, dans un bâtiment neuf sur la place de la Mare ou dans l’hôtel d'Escoville[30]. Les œuvres épargnées sont finalement entreposées à la hâte dans les ruines peu salubres de l’hôtel d'Escoville et du musée Langlois. Une seule salle de l'hôtel d'Escoville est ouverte au public et seules trois expositions temporaires sont organisées dans les années 1950[30]. En 1963, on commence à réfléchir à la reconstruction du musée[30]. Les collections sont inventoriées par Françoise Debaisieux ; outre les œuvres de la collection Mancel, on dénombre alors 567 peintures et miniatures, des céramiques et des porcelaines. L'avant-projet proposé par Jean Merlet dans l'enceinte du château est adopté le [31]. Le nouveau musée est ouvert au public le , mais son inauguration n'a lieu que le [31]. Parallèlement la nouvelle conservatrice, Françoise Debaisieux, entame une nouvelle politique d’acquisition se concentrant sur les écoles françaises, italiennes et flamandes du XVIIe siècle. Cette politique est soutenue par les dépôts du musée du Louvre.
En 1982, le musée des Beaux-Arts de Caen est promu « musée classé »[32], reconnaissant ainsi l’importance des collections et la vitalité de la politique visant à les enrichir. En 1988, Alain Tapié succède à Françoise Debaisieux. Il organise de grandes expositions et fait ajouter en 1994 une nouvelle aile construite par Philippe Dubois, qui abrite les locaux d'accueil, un auditorium de 220 places, des salles d'exposition permanentes et temporaires, une bibliothèque, des espaces de conservation, des réserves, et le café du musée (café Mancel)[33]. Le nouveau conservateur étoffe les collections en faisant l’acquisition d’œuvres contemporaines. Après cette extension, le musée obtient en 1995, au titre de son architecture et de son programme, le Grand Prix national des Musées décerné par le ministère de la Culture. Depuis 2007, le musée est au centre du parc des Sculptures, aménagé dans le château, à l’initiative de Patrick Ramade, conservateur en chef, directeur du musée depuis 2004[34]. En 2014, la direction du musée est confiée à Emmanuelle Delapierre, conservateur du Musée des Beaux-Arts de Valenciennes[35].
Fréquentation
Chiffres de fréquentation du musée des Beaux-Arts de Caen (2001-2020)[1]
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
2014
2015
2016
2017
2018
2019
2020
2021
51 139
80 669
51 614
39 344
56 376
71 342
64 138
62 791
62 209
151 577
87 941
64 930
166 516
54 408
62 658
125 385
73 239
67 108
63 956
72 630
61 347
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La gratuité est accordée le premier dimanche de chaque mois et tous les jours aux moins de 26 ans.
Collections
Le musée propose 6 000 m² d’espace dédiés aux collections présentées au public avec de nombreuses œuvres de la Renaissance italienne et flamande, mais aussi française, ainsi que de l’art contemporain. Il dispose d’une salle de 400 m2 pour la présentation des estampes de la collection Mancel. Le musée est équipé d’une salle de conférence de 230 places, utilisée notamment par l’université populaire de Caen. Enfin, la bibliothèque de la conservation du musée, composée de plus 20 000 volumes, est ouverte au public.
Une partie des collections du musée est accessible en ligne sur la base Joconde[36]. Le site internet du musée donne aussi accès à des présentations d'œuvres de sa collection[37].
Jaume Plensa, Lou (2015), dépôt de l'artiste, depuis [69] ; achat par la ville en 2022[70].
Collectif d’artistes CLARA, Témoins (2021), depuis le [71],[72].
Dans le cadre des travaux de réaménagement du château, plusieurs œuvres sont provisoirement déposées en novembre 2022. Les statues du bestiaire de Huang Yong Ping et La Grande ombre sont entreposées dans un entrepôt à la périphérie de Caen. Lou est transféré sur l'esplanade de l'hôtel de ville et Le Grand guerrier dans le cloître de l'abbaye aux Hommes (hôtel de ville)[73]. Les statues du bestiaire de Huang Yong Ping sont réinstallées en décembre 2024, les autres sculptures devant être réinstallées en février 2025[74].
François-Hippolyte Debon (1807-1872), Portrait de Guillaume le Conquérant, duc de Normandie[82] (Salon de 1843) ; L'Entrée de Guillaume le Conquérant à Londres[83] (Exposition universelle de 1855).
Édouard Krug (1829-1901), Symphorose, refusant d'abjurer la religion chrétienne, l'empereur Hadrien la condamne au martyre avec ses sept fils (Salon des Artistes Français de 1882).
Gaston Mélingue (1839-1914), Les Vendeurs de chair humaine (Salon des Artistes Français de 1893)[84].
Jean-Jules-Antoine Lecomte du Nouÿ (1842-1923), Polyptyque sur l'œuvre de Victor Hugo : Les Travailleurs de la mer (Salon des Artistes Français de 1884) ; Les Orientales (Salon des Artistes Français de 1885) ; Les Contemplations d'aujourd'hui (Salon des Artistes Français de 1885) ; Les Contemplations d'autrefois[86].
Albert-Jules Édouard (1845-1919), Dante et Virgile sur le lac glacé (Salon de 1879) ; Briséis et ses compagnes pleurant sur le corps de Patrocle (Salon des Artistes Français de 1885)[87],[88].
Émile Louis Thivier (1858-1922), Le Voeu de Jepthé (Salon des Artistes Français de 1901)[89].
René-Ernest Huet (1886-1914), Ulysse retrouve dans le verger son vieux père Laërte (Salon des Artistes Français de 1913).
Quelques-unes des sculptures détruites en 1944 :
Paul Gayrard (1807-1855), Daphnis et Chloé, 1847, marbre (Salon de 1847)[90].
Antoine Étex (1808-1888), Nizzia, 1849, marbre (Salon de 1850-1851)[91].
Ferdinand Taluet (1821-1904), Charlotte Corday, 1884, plâtre (Salon des Artistes Français de 1884)[92].
↑Citations extraites de l’ouvrage de Rémy Desquesnes, Caen 1900-2000 : un siècle de vie, Fécamp, Éditions des Falaises, 2001.
↑Georges Mancel, Catalogue des tableaux composant le musée de Caen : précédé d'une notice historique, Caen, édition Hardel, , 1re éd. (lire en ligne), p.11.
↑ a et bFernand Engerand, « Histoire du musée de Caen », Bulletin de la Société des beaux-arts de Caen, caen, vol. 10, 1er cahier, , p.80 (lire en ligne).
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↑Georges Mancel, Alfred Guillard et Xénophon Hellouin, Catalogue des tableaux composant le musée de Caen : précédé d'une notice historique, Caen, Charles Valin, 1891, 7e édition, p. 121–132 [lire en ligne].
↑Gustave Ménégoz, « Deux tableaux du musée de Caen par Mme Vigée-Lebrun et François Boucher » dans Bulletin des musées de France, Paris, 1908, p. 11–12 [lire en ligne].
↑Fernand Enguerrand, « Histoire du musée de Caen » dans Bulletin de la Société des beaux-arts de Caen, Caen, Imprimerie Charles Valin, 1897, 10e volume, 1er cahier, p. 138 [lire en ligne]
↑« Le centaure et la bacchante », Journal de Caen, no 2372, (lire en ligne)
↑« L’incendie du musée » dans Le bonhomme normand, 41e année, no 45
↑Henri Prentout, « L'incendie du musée de Caen » dans Musées et monuments de France, Paris, 1906, 1re année, p. 42–43 [lire en ligne].
↑ ab et cPatrice Gourbin, « La politique municipale du patrimoine à Caen pendant la reconstruction (1940-1970) », Annales de Normandie, nos 58-1-2, , p. 147-167
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↑Christophe Marcheteau de Quinçay, « Hippolyte Debon (1807-1872), le “coloriste chevaleresque” : un nouveau Rubens au siècle de Delacroix ? I. Des origines à La Bataille d’Hastings (1807-1845) », Les Cahiers d'Histoire de l'Art, n° 19, 2021, p. 47, 68-70, 73, 74, et repr. p. 68, fig. 30.
↑Christophe Marcheteau de Quinçay, « Hippolyte Debon (1807-1872), le “coloriste chevaleresque” : un nouveau Rubens au siècle de Delacroix ? II. Du Camp du Drap d'Or à l'oubli (1846-1872) », Les Cahiers d'Histoire de l'Art, n° 20, 2022, p. 109, 110 et 121, et repr. p. 109, fig. 9.
↑Christophe Marcheteau de Quinçay, Les Mélingue père et fils. Des vies d'artistes, Caen, Musée des Beaux-Arts de Caen, coll. « L'Œuvre en question » (no 10), , p. 18 et 45, repr. fig. 90.
↑Christophe Marcheteau de Quinçay, « Les fantômes du musée, le Polyptyque sur l'œuvre de Victor Hugo de Jean Lecomte du Nouÿ (1842-1923) », Cahiers du musée des Beaux-Arts de Caen, n° 1, 2010, p. 40-45.
↑Pierre Sérié, La Peinture d'histoire en France, 1860-1900. La lyre ou le poignard, Paris, Arthena, 2014, p. 355 et 414 .
↑Christophe Marcheteau de Quinçay, « Paul Brossard d'Alban, le photographe “royal” du musée de Caen », La Gazette des Amis des musées de Caen, du Havre et de Rouen, no 23, , p. 13, et repr. p.12, fig. 4.
↑Christophe Marcheteau de Quinçay, « Mercenaires ! Cannibales ! Éléphants ! Autour des grands absents de l’exposition Salammbô : Gustave Surand, Émile Thivier et Paul Buffet », Les Cahiers d'Histoire de l'Art, n° 21, 2023.
↑Christophe Marcheteau de Quinçay, « Malheureuses amoureuses, ou les destins contrariés de trois statues du premier projet de Duban pour la Cour Carrée du Louvre (1850-1852) », La Revue des musées de France. Revue du Louvre, no 3, , p.86 , repr. fig. 14..
↑Christophe Marcheteau de Quinçay, « Les fantômes du musée (IV). De marbre et d'ivoire, la Baigneuse d'Augustin Moreau-Vauthier (1831-1893) », Cahiers du musée des Beaux-Arts de Caen et de la Société des Amis du musée, n° 4, 2023, p. 106-119.