Il s'appelle osh ou ach chez certains turcophones, osh en ouzbek[4] et Оши палов, оши палав, пилав (Oşi palov, oşi palav, pilav) en tadjik, ach racine turque[5] signifie la nourriture, faim, cuisine ач уи (ach uî) en kirghiz[2]. Nicolas Komaroff écrit (1976) à propos d'un mariage turkmène : « Ensuite on servait un repas (ash) constitué par du riz pilaf (plov) préparé spécialement pour la circonstance »[6].
Плов (plov) et Пловы (plovy) sont des mots russes[7] du persanپلو (pilau) pour riz, avec Палау (Palaw) en kazakh, پولۇ (polo) en ouïgour, Палоо (Палоо) en kirghize.
Pour les repas de fête, il porte les noms de palov en ouzbek et de oshi palov en tadjik.
Origine et diffusion
C'est le plat le plus typiquement centrasiatique écrivent C. Urbain et H. Bissot[2].
Son origine est débattue : le pulav indien aurait suivi de la route de la soie jusqu'en Asie centrale, pour devenir plov[8], il proviendrait de Perse selon l'historienne russe Anya von Bremzen (de Perse et de l'empire Ottoman selon Jeremy MacVeigh[9]), elle explique que le livre des aliments savoureux et sains soviétique dans sa version 1939 qui fait autorité en fait un plat du Caucase (et non ouzbek comme chacun le pense aujourd'hui). Cette édition donne 30 recettes d'Azerbaïdjan et un plov sucré de Guria en Géorgie. Dans l'édition 1952, le plov ouzbek apparait après le plov géorgien. L'auteure y voit la politique soviétique de promotion des cuisines de la République non russe la plus populaire à cette époque[10].
L'Asie centrale est un carrefour, la technique de cuisson du plov centre-asiatique remonterait aux années 1880, le persan pilav écrit S. D. Sharma (qui le qualifie de super-aliment culturel) a probablement une étymologie turque mais la méthode de cuisson viendrait du monde indien. Elle est mentionnée avec cette origine dans une source arabe médiévale et ce serait assez tardivement avec la dynastie Kadjar que la recette apparait en Iran[11].
Les cuisines voisines, russe, afghane, mongole, chinoise (ouïgours) et caucasiennes (ArménieՓլավ (P’lav), Azerbaïdjan, Géorgieფლავი (plavi) et Caucase du Nord) et au-delà se l'ont progressivement approprié. En 1945, Staline (géorgien d'origine) a servi du plov de caille à Churchill et Roosevelt à Yalta[10].
Le site russianfood donne (2022) 700 recettes de plov et pilaf[12], il existe toute une littérature avec les variantes de plov[13],[14],[15]. Les migrants ouzbèkes[16] sont pour beaucoup dans la multiplication des restaurants de plov à Moscou[10] qui ont fait la fortune de l'oligarque Arkady Novikov[17],[10].
Patrimoine culturel immatériel
Depuis 2016, la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l'UNESCO compte le palov d'Ouzbékistan, comme plat traditionnel commun à toutes ses communautés rurales et urbaines[18] et l'oshi palav ou osh du Tadjikistan[19], plat comparable, dont il existe 200 versions Оши як ба як, Палави токи, Оши девзира, Бедонапалав (Oşi jak ʙa jak, Palavi toki, Oşi devzira, Bedonapalav.) dans le patrimoine culturel tadjike[20].
Préparation
Le plov se cuisine dans une sorte de lourde marmite en fonte avec couvercle, le Kazan ou qazan qui peut être mise sur un feu de bois par les nomades. Les femmes ouzbèkes cuisinent habituellement, mais ce sont les hommes qui cuisinent le plov géant des festins (oshpaz)[21].
Le fonds de cuisson (zirvak)
Dans un premier temps, il est préparé le fond ou zirvak[22] qui servira à la cuisson du riz. Des oignons sont colorés pour teinter le riz, une viande ou mélange de viandes (bœuf, mouton, volaille, on trouve aussi la viande de cheval[23] et de porc[24], les turkmènes font du palov au poisson, esturgeon, hareng[25]) sont cuits recouverts de carottes en julienne (la couleur des carottes fait l'objet de choix locaux), le tout dans une sérieuse quantité d'huile neutre ou de graisse animale[26] (ce plat est très gras, 200 ou 250 g d'huile pour 1 kg de riz, le riz ne risque pas de coller[27]). Le tout est mouillé d'eau à hauteur et des têtes d'ail entières sont posées à la surface. La cuisson à couvert dure environ 1 h, voire davantage avec des pois chiches[28]. Les épices usuelles sont le cumin et l'ail, parfois du curcuma et ou du poivron rouge[26],[29]. Chez les Azéris, gingembre et graine de sésame[30], safran/lentilles dans le plov d'Ashgara[31].
Le riz
Les amateurs privilégient un riz Devzira[32], riz rose-rouge à grain moyen à court, ou barakat (à Boukhara) produit dans la vallée du Ferghana[33]. Sinon un grain long de type Basmati. Le riz lavé à 3 eaux, puis essuyé à sec[34], doit tremper dans de l'eau tiède chaude (60 °C 140 °F) et salée[29].
Le riz peut être cuit à la friture (huile, oignon, viande), à l'eau (huile, oignon, viande + sel, carottes, riz, eau) ou à la vapeur. Le riz est posé sur le zirvak (sauf variante locale où il n'est pas mélangé, la cuisson doit respecter les couches successives viande, légumes, riz) mouillé à nouveau avec 1 cm d'eau au-dessus de la surface du riz, percé de cheminées et cuit avec un couvercle légèrement entrouvert[35] ou bien couvercle surélevé par un linge[36].
La marmite doit reposer une vingtaine de minutes après cuisson[23].
Le rituel
Le dossier de candidature Ouzbek devant l'UNESCO donne toutes les occasions de cuisiner le plov et de se réunir autour de lui : mariage, anniversaire, circoncision, obsèque, fêtes, jour férié et les événements), mais aussi dans la vie de tous les jours (au moins un ou deux jours par semaine)[37].
Lydia Bach écrit « Selon l'usage immémorial, les ouzbèkes, retroussant leurs larges manches, le mangent avec les doigts, puisant à même le plat. C'est, paraît-il, meilleur ainsi. Pour l'apprécier vraiment, affirment les gourmets asiatiques, le goût et l'odorat ne suffisent pas, il faut en avoir aussi une sensation tactile »[38]. « La politesse exige qu'on se bourre de nourriture ; on m'excite sans relâche à manger, et si j'y mets quelque hésitation, Souleiman, de sa main, choisit les morceaux les plus gros pour les porter à ma bouche. Repu, gorgé, c’est à peine si je respire, et des plats continuent à se succéder avec une profusion désespérante. Mais quand, pour terminer dignement ce repas pantagruélique, on nous présente, dans des coupes chinoises, du thé avec de la graisse de mouton délayée, je me sens à bout de forces » (Henri Moser, 1885)[39].
La transmission des recettes et des savoirs faire promeut selon les dossiers déposés à l'UNESCO « des valeurs telles que la solidarité et l’unité, et perpétuent des traditions locales qui font partie intégrante de l’identité culturelle de la communauté »[40].
Les principales variantes
Le riz pilaf se décline en de multiples variantes, les plov, palov, etc. sont des pilafs largement enrichis de légumes, viandes, fruits secs qui deviennent des plats complets alors que le pilaf n'est souvent qu'une garniture.
Les juifs de Boukhara cuisinaient le Бахш - плов бахш (ʙaxş ou plov ʙaxş) bakhsh, pilaf bakhsh (bukhori Бахш, Бахш палав, Ошпалави бахш - tadjik. Бахш палав (Baxş palav), ouzbèke Khalta palau). Bakhsh ou khalta signifie sac. La cuisson (longue, Jamie Oliver le cuit 75 min[41]) se fait dans un sac en toile plongé dans un chaudron avec de l'huile. Dans cette recette les carottes sont remplacées par des légumes verts et de la coriandre (d'où le nom de pilaf vert)[42] et la viande est du foie.
Biryani
Ce plat, proche de plov a été diffusé par les Moghols dans tout leur empire, en Inde il se fait avec ou sans viande, épicé ou très épicé[43] avec un mélange d'épice spécial le biryani masala [44]. La cuisson se fait aussi par couches (riz, légumes, viande, etc.)[45], c'est un plat central ou unique[46].
Plovs ouzbèkes
Le plov de Tachkent aurait des légumes découpés en duxelles, celui de Boukhara au poulet, le plov de Samarcande aux pois chiches[47]. À la mode ouzbèke, il est courant de servir avec le plov une salade de tomates et d'oignons doux et du thé vert.
Paella
Ce riz au gras mouillé d'un bouillon, garni de légumes, viandes ou crustacés, épicé au safran est cuit à découvert. Selon Susan Whitfield, la paella est une version du plov[48]. Pourtant, chez l'Anonyme Andalou qui rapporte la cuisine locale médiévale, autant il est vrai que la cuisson du riz au gras est fréquente, autant celui-ci prend une forme d'une bouillie dans sa version orientale, qui n'a rien à voir avec un plov[49].
« Les pauvres mangent du plov, les riches ne mangent que du plov »
Tania Visirova, Du Caucase aux Folies-Bergère. Paris Mazarine (1980)[51]
« Le bey mangeait avec nous, sans ses femmes. On nous servit du vin de grenade avec le fameux plov : un mélange de riz au safran, de raisins, d'abricots secs et de gingembre. Maman, enthousiasmée, demanda la recette et on nous emmena dans la partie du palais où se trouvaient les femmes. (La recette de Tabriz, obtenue en 1912, fait encore la joie de certaines réunions amicales chez moi.) »
↑ abc et dCharlotte Urbain et Hugues Bissot, « Le plov dans tous ses États. Constitution d'une diaspora autour d'un plat d'Asie centrale », Diasporas. Histoire et sociétés, vol. 7, no 1, , p. 42–55 (lire en ligne, consulté le )
↑Heinrich Julius Klaproth, Memoires relatifs a l'Asie contenant des recherches historiques, geographiques et philologiques sur les peuples de l'Orient etc, Dondey-Dupre, (lire en ligne), p. 138
↑Nicolas Komaroff, « Orazov (A.), Economie et culture des populations du nord-ouest de la Turkménie à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, vol. 21, no 1, , p. 193–206 (lire en ligne, consulté le )
↑Sophie Massot, « Les réseaux ouzbeks de l’émigration, à Séoul, Moscou et New York », dans Anthropologie des réseaux en Asie centrale, CNRS Éditions, coll. « CNRS Alpha », (ISBN978-2-271-12982-6, lire en ligne), p. 159–172
↑(en) « Arkady Novikov », sur www.wikidata.org (consulté le )
↑(en) Caroline Eden, Eleanor Ford et Eleanor Smallwood, Samarkand: Recipes and Stories From Central Asia and the Caucasus, Octopus, (ISBN978-0-85783-999-2, lire en ligne)
↑Musia Internet Archive, Cooking the Russian way, London, Spring Books, (lire en ligne)
↑Nam H. Nguyen, Recettes de cuisine internationales essentielles en français: Essential International Cooking Recipes In French, Nam H Nguyen, (lire en ligne)
↑(en) Susan Withflield, « FROM PLOV TO PAELLA », CENSORSHIP SAGE PUBLICATIONS, , p. 6 (lire en ligne [PDF])
↑Jean-Michel Laurent, Traité de Cuisine arabo-andalouse dit Anonyme andalou: Traduction du manuscrit Colin, ms 7009 – BnF, Les Éditions du Net, (ISBN978-2-312-04291-6, lire en ligne), recettes de riz et panades
↑(de) Isa Ducke et Natascha Thoma, Usbekistan : [von der sowjetisch geprägten Metropole Taschkent nach Samarkand, Buchara und Chiwa mit ihren Moscheen, Medresen und Mausoleen ... : Entdeckungsreisen entlang der Seidenstrasse], Dumont Reiseverlag, (ISBN978-3-7701-7739-4, lire en ligne), p. 64
↑Tania (1908- ) Auteur du texte Visirova, Du Caucase aux Folies-Bergère / Tania Visirova ; [propos recueillis par] Maria Craipeau, (lire en ligne), p. 20