ScolastiqueLa scolastique (du latin schola, « école », issu lui-même du grec σχολή / skholê, « repos, temps libre, loisir consacré à l'étude ») est la philosophie développée et enseignée au Moyen Âge dans les universités : elle vise à concilier l'apport de la philosophie grecque (particulièrement l'enseignement d'Aristote et des péripatéticiens) avec la théologie chrétienne héritée des Pères de l'Église et d'Anselme. De ce fait, on peut dire qu'elle est un courant de la philosophie médiévale. DescriptionLe terme de « scolastique », dérivé du terme schola, provient du grec scholê au sens d’oisiveté, de temps libre, d’inactivité, qui — plus tardivement — signifie : « tenir école, faire des cours ». C’est qu’en effet, au Moyen Âge, seuls les clercs réguliers avaient la « scholê », c'est-à-dire le loisir d’étudier, laissant aux autres (le clergé séculier, les frères convers, les laïcs, etc.) le soin — réputé subalterne — des affaires matérielles. Une des bases de la scolastique est l'étude de la Bible. Celle des Septante avait été traduite de l'hébreu au grec à Alexandrie 270 ans avant Jésus. L'Ancien Testament fut ensuite traduit de l'hébreu au latin par saint Jérôme, qui révisa également une ancienne version en latin du Nouveau Testament, ce qui a donné la Vulgate[1]. La Vulgate devient le texte de référence absolu pour les penseurs latins du Moyen Âge (le grec était plus usité à Constantinople). Uniquement accessible aux lettrés, elle est le fondement incontesté des études. Sont aussi soumis à l'étude scolastique l'enseignement officiel de l'Église, notamment les décisions des conciles ; les écrits des saints, tels saint Augustin, saint Hilaire, Grégoire le Grand ; les traités attribués à Denys l'Aréopagite, et surtout les quatre livres des Sentences, où Pierre Lombard avait rangé, vers 1150, l'ensemble des données et des problèmes de la foi chrétienne tels qu'ils avaient été déterminés, discutés, compris, par les principaux penseurs de l'Église[2]. La réconciliation entre Aristote, « le divin docteur », et la foi chrétienne passe en particulier par la tentative de résoudre les tensions entre philosophie première (selon Aristote) et théologie, autrement dit entre une métaphysique générale (philosophie première appelée plus tard ontologie, ou ontosophie) et une science de l'être par excellence (plus tard, metaphysica specialis, la théologie). Cette réconciliation avec la philosophie première est présentée dans la Somme théologique de Thomas d'Aquin. Au centre de cet ouvrage, on trouve une théologie de la Création (prima pars : Dieu, la création). La réconciliation est soumise à la hiérarchie augustinienne : « Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas »[3] citant Esaie 7,9. Il s'agit avant tout de mieux comprendre la foi chrétienne à la lumière de la philosophie antique. Thomas précise par ailleurs que la philosophie, recherchant la vérité, ne peut présenter de danger pour la religion qui selon lui est la vérité : elle ne peut au contraire qu'y conduire. La philosophie se retrouvera donc in fine au service de la révélation. Les bases que prend Thomas sont les textes sacrés, et donc le travail philosophique de la Somme consiste, au moyen de questions successives, à en débusquer les contradictions apparentes et à les résoudre par une approche qui s'apparente à ce que sera la dialectique de Hegel (en partant évidemment d'autres bases). La scolastique comporte plusieurs formes : la lectio de textes, les commentaires, la quaestio, la disputatio ou question disputée, les questions quodlibétiques et les sommes. La lectio consiste à expliquer les textes fondamentaux de l'enseignement (la Bible, Pierre Lombard, Aristote plus tard, etc.) quasiment mot à mot. Le texte est divisé en ses diverses parties, puis commenté dans le détail ; enfin les problèmes qu'il pose sont examinés. Les commentaires sont destinés à faire comprendre des œuvres (de nature religieuse, philosophique, scientifique) considérées comme fondamentales. Elle permet de résoudre un problème selon un schéma rigoureusement réglé, des problèmes de théologie ou de philosophie. La quaestio apparaît au début du XIIe siècle. La technique en est parfaitement mise au point au XIIIe siècle[2]. La quaestio est le fait du maître seul. Quand y sont mêlés d'autres acteurs, elle prend la forme de la disputatio, soumise à des règlements universitaires précis. La disputatio représente une compétition, une joute verbale entre deux docteurs et leurs étudiants sur un sujet de théologie, de philosophie ou de droit. À Paris, elle se déroule sur la place de la Sorbonne, ou sur tout autre lieu circulaire, devant des spectateurs qui ont été avertis de la joute oratoire par des « placards », affichés entre autres sur la porte des églises. Le déroulement de ces joutes est très strict, et codifié de façon rigide[4]. Une somme est le résumé systématique d'un ensemble doctrinal, résumé qui peut être fort long. C'est sur l'aspect formaliste de la disputatio que se concentrera la critique rationaliste et moderne de la scolastique. Sa méthode est en effet une pure spéculation intellectuelle, fondée exclusivement sur le commentaire de textes ou le commentaire de commentaires, s'interdisant tout regard direct sur le réel. Cette logique formelle[5] ne peut se prévaloir d’aucune validité en ce qui concerne la compréhension et l’extension d’un prédicat. C’est l’attitude que Platon a combattue chez les sophistes. La pensée aristotélicienne et la scolastiqueLe développement de la scolastique fut essentiellement subordonné à la pénétration d’Aristote en Europe, ainsi qu’aux traductions des philosophes juifs et arabes (dont Avicenne, Averroès, Maïmonide)[6]. La découverte progressive de la Physique et de la Métaphysique d’Aristote en Occident provoqua une véritable « révolution »[7]. La chronologie peut être établie comme suit :
Cette date correspond, selon Pierre Duhem, à la naissance de la science moderne[21]. Tempier, au nom d’une nécessité théologique, ouvrira une brèche béante à partir de laquelle se poseront les bases de la pensée moderne : « Si la science moderne n’est pas née en 1277, c’est la date où la naissance des cosmologies modernes est devenue possible en milieu chrétien[22]. » Quatre périodesLe développement de la scolastique est intimement lié à celui des universités. Ainsi la scolastique est un produit universitaire, au sens institutionnel et social à la fois. L'emprise de la scolastique se divise en quatre grandes périodes, même si l'influence de celle-ci s'étend au-delà. Scolastique primitive : du début du XIe siècle à la fin du XIIe siècleLa première période, qui semble débuter surtout avec la figure d'Anselme de Cantorbéry, est marquée par la Querelle des universaux, opposant les réalistes, menés par Guillaume de Champeaux, aux nominalistes, représentés par Roscelin, et aux conceptualistes (Pierre Abélard). Mais la forme véritablement préparatoire à la scolastique sera l'école de Chartres qui redécouvrira Aristote[23]. Cette période marque aussi l'apogée des exégèses médiévales. Celles-ci interprétaient les Saintes Écritures à travers la méthode scolastique qui révélait son quadruple sens : littéral, allégorique, tropologique, et anagogique. Chacun des quatre sens était connu et pratiqué depuis longtemps, mais cette doctrine des quatre sens de l'Écriture préconisait une interprétation plurielle du texte de la Bible. Hugues de Saint-Victor l'employa (De Scripturis). Les œuvres d'Aristote sont traduites (en même temps que les traités scientifiques grecs et arabo-musulmans) par des équipes de philosophes chrétiens, juifs et arabes. Elles sont marquées par l'influence de Platon et de Plotin. Grande scolastique : de la fin du XIIe siècle à la fin du XIIIe siècleCette deuxième période est considérée comme l'apogée de la scolastique. Elle est appelée pour cette raison la grande scolastique. À partir de 1230, les œuvres d'Aristote, principales représentantes de la scolastique, sont traduites du grec en latin par Albert le Grand, véritable introducteur de la pensée du philosophe, et par Guillaume de Moerbeke, secrétaire de Thomas d'Aquin, et introduites dans les universités. Plusieurs sensibilités se sont exprimées dès cette époque. On note par exemple que Robert Grossetête, à Lincoln (Royaume-Uni), et Roger Bacon, à Oxford, davantage portés vers l'expérience que vers la spéculation pure, avaient identifié quelques erreurs commises par Aristote à propos des phénomènes naturels, ce qui ne les empêcha nullement de reconnaître l'importance de la philosophie d'Aristote. Cependant, à la fin du XIIIe siècle, le plus grand souci des universitaires est de refuser radicalement l'univers nécessaire des Grecs et des Arabes. Scolastique tardive : le XIVe siècleLa troisième période est une phase de repli. Le dernier grand représentant de la scolastique, Jean Duns Scot, soutient l'idée selon laquelle Dieu est infini et la créature finie, sur un même plan ontologique. On voit le penseur Guillaume d'Occam prendre position pour les nominalistes, et fonder une via moderna qui s'oppose au thomisme, distinguant davantage que Thomas d'Aquin la philosophie de la théologie. À partir du XVe siècleÀ partir du XVe siècle, la scolastique est remise en cause par l'humanisme puis par la Réforme au XVIe siècle : la scolastique sera accusée d'avoir ruiné la doctrine chrétienne en établissant la prépondérance de la philosophie antique. Érasme critique son « langage barbare », son ignorance des lettres et des langues. Les maîtres de la scolastique ignorent en effet le grec et ne possèdent que des traductions de seconde ou troisième main. Mais les maîtres de la scolastique Jean Bessarion (env. 1402-1472), Pietro Pomponazzi (1462-1525)[réf. nécessaire] et les maîtres de Padoue[réf. nécessaire] s'opposent aux idéaux de l'humanisme. Les théologiens s'opposent d'ailleurs à la traduction par Érasme du grec au latin du Nouveau Testament, traduction beaucoup plus fidèle au texte[4]. Érasme critique surtout la « contamination » de la scolastique par la philosophie païenne : « Quelles relations peut-il y avoir entre le Christ et Aristote ? »[24]. Selon le système de pensée réformée, la définition précise du contenu de la scolastique resterait problématique. Selon Marie-Madeleine Davy[25] : « Plus tard, on verra Érasme accuser de paganisme le Moyen Âge chrétien. Quant à Luther, il ira jusqu'à dire que « les philosophes du Moyen Âge ont livré les clés de la théologie à la morale païenne. » Luther a publié en 1517 Controverse contre la théologie scolastique. Le débat peut se résumer en ces termes : d'un côté, les réformateurs rejettent la théologie scolastique médiévale. Ceux-ci accusent les scolastiques d'avoir hellénisé la religion chrétienne. De l'autre côté, les catholiques considèrent que les scolastiques ont plutôt christianisé la civilisation hellénistique et ouvert la foi aux catégories de la pensée antique. L'école de Salamanque, en Espagne, constitue un renouveau très important sur les grandes questions dont on débat pendant la Renaissance : droit naturel, économie. Francisco Suarez, jésuite espagnol de l'école de Salamanque, est considéré comme le plus grand scolasticien après Thomas d'Aquin. Il semble être tombé dans un certain oubli, pourtant Descartes s'est appuyé sur ses dissertations métaphysiques pour critiquer la philosophie première de la scolastique. En France, l'enseignement de la scolastique perdura aux XVIIe et XVIIIe siècles jusqu'à la suppression des universités sous la Révolution, en [26]. Postérité de la conception scolastiqueMême si le terme scolastique a une connotation négative depuis le XVIIe siècle, du fait qu'il paraît attaché à une spéculation excessive (affaire Galilée et prise de position de Descartes)[27], les papes ont constamment réaffirmé la profondeur de la pensée de Thomas d'Aquin :
Principaux philosophes scolastiquesNotes et références
Voir aussiBibliographie
Articles connexesSur la philosophie
Sur Thomas d'Aquin et la scolastique Sur la philosophie chrétienne
Liens externes
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