La Vénus d'Urbin[1] (en italienVenere di Urbino et donc quelquefois Vénus d'Urbino en français) est une peinture de la Renaissance réalisée par Titien en 1538.
La toile, exposée à la galerie des Offices de Florence, fut au départ conçue pour être transportable, selon les vœux d'un nobleitalien de l'époque (dimensions 119 × 165 cm).
Le peintre a alors 50 ans et c'est la première fois qu'on lui passe commande d'un tel nu.
« Il y a de Titien, dans la garde-robe du duc d'Urbin, deux têtes de femmes très gracieuses ; une Vénus représentée sous la forme d'une jeune femme couchée, tenant des fleurs, et entourée de draperies d'une légèreté et d'un fini extraordinaires ; et une tête de sainte Marie-Madeleine aux cheveux épars, qui est une œuvre remarquable. »
— Giorgio Vasari, trad. de l'italien par Léopold Leclanché et Charles Weiss, revue par Véronique Gerard Powell[3].
La Vénus d’Urbin affirme sans détour sa sensualité et sa séduction dans une œuvre qui montre le naturalisme tout en nuance de Titien. Le peintre révèle encore une fois au spectateur sa capacité à représenter une réalité concrète, un moment et un climat particuliers. Construit sur le modèle de la Vénus de Giorgione, il s'en détache grâce à l'environnement somptueux, aux servantes et surtout au regard de la femme qui se pose sur le spectateur. Ces éléments permettent de briser l'isolement mythique dans lequel Giorgione avait placé son idéal de la beauté[5].
Le portrait d'une masturbation
Certains critiques d'art ont assimilé la main posée sur le sexe à une masturbation[6]. La représentation du geste est tout à fait exceptionnelle. Titien ne l'a jamais reprise et aucun autre peintre non plus. Sous cet angle, le sujet paraît un peu osé, à la limite du pornographique. Il met sur le devant de la scène un geste qui est admis dans l'intimité du mariage. L'historienne de l'art Rona Goffen a montré qu'au XVIe siècle la science disait que les femmes ne pouvaient être fertilisées qu'au moment de leur jouissance[7]. Certains médecins suggéraient donc aux femmes mariées de se masturber avant le coït pour avoir un enfant. C'est donc un tableau imaginé dans un contexte de mariage (Guidobaldo Della Rovere a été marié 4 ans plus tôt à une jeune fille de 10 ans et le mariage n'a pas encore été consommé). Le myrte sur la fenêtre, les roses dans la main droite, les deux coffres du fond et le petit chien endormi sur le lit sont aussi des symboles liés au mariage. Ces symboles ne sont pas univoques. Les coffres peuvent être de simples coffres de mariage ; les courtisanes en possèdent aussi dans leur palais. Le myrte et les roses peuvent n'être seulement que des roses et du myrte.
Deux espaces
Erwin Panofsky, un grand historien de l'art, a vu dans le grand pan de peinture noire à gauche, les plis du rideau, créant ainsi une rupture qui sépare visuellement les deux espaces au centre du tableau, à l'aplomb précis du sexe de Vénus. Cette ligne noire verticale est prolongée par le bord du pavement horizontal, noir également. Pour Daniel Arasse, lui aussi historien de l'art, s'il y a bien un rideau derrière Vénus, c'est un rideau vert, soulevé et noué au-dessus de sa tête. Du même coup, ce grand pan de peinture noire n'est certainement pas un rideau. Ce n'est pas non plus un mur. Cela ne représente rien. Même chose pour le bord de pavement. Le tableau est donc incohérent, et pourtant parfaitement construit. Les bords se contentent de fixer les limites entre les deux lieux du tableau : le lit avec la femme nue et la salle avec les servantes. Arasse va même plus loin, en disant que la Vénus se situe entre deux lieux, avec, d'une part, l'arrière-plan avec les deux servantes, qui est en perspective et donne conséquemment une place au spectateur (celui-ci est face au tableau), et d'autre part, l'espace même du spectateur. Le corps de la Vénus n'occupe donc aucun espace précis, si ce n'est la surface même de la toile.
Deux espaces perspectifs du tableau sont distincts : la salle d'un palais vénitien Renaissance où évoluent deux servantes et celui du lit sur lequel repose Vénus, les deux sols n'appartenant pas au même plan continu. La perspective de l'arrière-salle est travaillée avec une attention très rare dans l'œuvre de Titien. L'objectif n'est pas de construire une unité spatiale mais une unité mentale. Le point de fuite des lignes de pavement est placé à l'aplomb de la main gauche de Vénus et à la hauteur de son œil gauche. La couleur qui traite de façon équivalente le premier plan et le fond donne une impression de douceur à l'intérieur du palais.
Ni portrait de courtisane, ni tableau de mariage, La Vénus d'Urbin est devenue une matrice du nu féminin qui inspirera Édouard Manet pour son Olympia[8].
Ce thème est repris sous forme de sculpture par Lorenzo Bartolini. Elle est basée sur la peinture réalisée à son intention par son ami Ingres. L'original se trouve au musée Fabre de Montpellier. Une copie de cette œuvre, qui a appartenu aux savonniers A. et F. Pears Ltd., est à la Lady Lever Art Gallery près de Liverpool.
Lorenzo Bartolini, Vénus couchée, 1820-1830, musée Fabre, Montpellier.
↑« Titien a éveillé la figure endormie de Giorgone et, en lui donnant un regard qui nous fixe frontalement, il en fait une figure très consciente d'être offerte à notre regard. Le geste de sa main gauche prend, du même coup, une valeur précise qu'il n'avait pas chez Giorgone. Le contexte médical et religieux contemporain ne laisse guère de doute : la figure se masturbe pour que l'acte sexuel auquel elle se prépare ait plus de chance d'aboutir à un orgasme. Enfin, de façon très cohérente avec ce programme érotique, Titien a transformé de façon précise la gestuelle de la Vénus endormie : alors que la figure de Giorgione avait le bras droit levé, montrant une aisselle épilée, Titien abaisse ce même bras et le flot de la chevelure (devenue blonde) recouvre l'aisselle ; alors que, chez Giorgione, la main gauche laissait voir un pubis également épilé, Titien a placé là une ombre profonde (que rien ne justifie anatomiquement) et, en faisant se rejoindre le pouce et l'index, il constitue un interstice ombreux là où Giorgione avait séparé les doigts, empêchant toute suggestion trop "impudique" », Daniel Arasse, « La chair, la grâce, le sublime », Histoire du corps De la renaissance aux Lumières, (sous la direction de Georges Vigarello), 2005, p. 452.
↑Rosa Goffen, « Sex, space, and social history in Titian's Venus of Urbino », Titian's 'Venus of Urbino', 1997, p. 77.
↑Manet avait exécuté une copie sur toile, une aquarelle, une sanguine et deux dessins, 24 × 37 cm, lors d'un voyage en Italie en 1853.
↑Information présenté par le site du Ministère de la culture [1], page consultée le .
Aretino, Pietro. The Works of Aretino. Translated by Samuel Putnam, Franz von Bayros, and Francesca De Sanctis. New York: Covici-Friede, 1933.
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Vasari, Giorgio. La Vie Des Artistes.
Sources secondaires
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Tinagli, Paola. “Female Nudes in Renaissance Art”. Women in Italian Renaissance Art: Gender, Representation, Identity, 121-154. New York: Manchester University Press, 1997.La Vénus dévoilée, catalogue de l'exposition consacrée à la Vénus d'Urbin, qui se tint du au , à Bruxelles, sous la direction d'Omar Calabrese et Herman Parret, éd. Snoeck, 2003.