Les litanies de Lorette (en latin Litaniæ Lauretanæ) ou Litanies de la Sainte Vierge sont, dans la tradition catholique, des invocations répétées et psalmodiées de demandes d’intercession adressées à la Vierge Marie, Mère de Dieu[cc 1]. Composées sans doute au milieu du XVIe siècle à Lorette, ces litanies furent, avec les Litanies des saints, exclusivement choisies en 1601 par le pape Clément VIII en faveur de l'Église universelle. Toujours en usage, elles demeurent une prière très populaire, réservées à la dévotion mariale.
Historique
Origine
En ce qui concerne la version actuelle, l'origine de la composition finale ne remonte par conséquent qu'au XVIe siècle. Il s'agirait d'une synthèse qui aurait été effectuée successivement et par plusieurs auteurs. L'origine d'une autre version est énigmatique. L'hypothèse d'Angelo de Santi (1897) est une nouvelle composition tenue juste avant 1575[lll 1].
Il est vraisemblable que la tradition de ces litanies était née, après la fondation de ce sanctuaire sur les bords de la mer Adriatique en 1294 par des chrétiens venus de l'Orient, laquelle remplaçait la Sainte Maison de Nazareth d'abord transférée en Dalmatie[am 1]. Les chercheurs discutent l'origine issue du rite byzantin, par exemple son hymne acathiste, parce qu'il s'agissait d'une pratique pour le samedi, laquelle était respectée à Lorette[dab 1]. Quoi qu'il en soit, on constante que les litanies consacrées à la Sainte Vierge étaient, même au sein de l'Église d'Occident, assez anciennes et abondantes, sous les formes de « Sancta Maria », d' « Ave Domina » ou simplement d' « Ave », qui se trouvent dans les manuscrits à partir du XIIe siècle[1],[lll 2],[lll 3]. D'ailleurs, dans les archives, il existe un manuscrit qui se commençait dès Kyrie eleison, avec lequel se trouvent plusieurs textes communs. Ces litanies Sancta Maria furent copiées en 1524 par un certain Giovanni da Falerone, moine de Frères mineurs de l'Observance. Plus anciennes, il est possible qu'elles aient affecté à la composition des litanies de Lorette[lll 4].
Deux versions de litanies de Lorette
Autre version en usage à Lorette
Letanie, che si cantano nella S. Casa di Loreto ogni Sabbato, et Feste della Madonna (souvent Litaniæ Deiparæ Virginis ex Sancra Scriptura, dites Deiparæ ou Scriptura) [lire en ligne] (pour le samedi et les fêtes de la Sainte Vierge[rk 1])
Kyrie eleison. Christe eleison. Kyrie eleison.
Christe audi nos. Christe exaudi nos.
Pater de cælis Deus, miserere nobis.
Fili redemptor mundi Deus, miserere nobis.
Spiritus Sancte Deus, miserere nobis.
Sancta Trinitas unus Deus, miserere nobis.
Sancta Maria, ora pro nobis.
Sancta Dei Genitrix, ora pro nobis.
Sancta Virgo Virginum, ora pro nobis.
Mater viventium (Livre de la Genèse III), ora pro nobis.
Mater pulchræ directionis (Siracide XXIV), ora pro nobis.
Mater sanctæ spei (Siracide XXIV), ora pro nobis.
Paradysus voluptatis (Livre de la Genèse II), ora pro noibs.
Lignum vitæ (Livre de la Genèse II), or pro nobis.
Domus Sapientiæ (Livre des Proverbes IX), ora pro nobis.
Porta cæli (Livre de la Genèse XXVIII), ora pro nobis.
Desidelium cællium eternorum (Livre de la Genèse XLIX), ora pro nobis.
Civitas refugij (Livre des Nombres XXXV), ora pro nobis.
Gloria Hiersalem (Livre de Judith XV), ora pro noibs.
Sanctuarium Dei (Livre de l'Exode XV), ora pro nobis.
Tabernaculum fœderis (Livre d'Exode XXV), ora pro nobis.
Altare Thymiamatis (Livre d'Exode XXX), ora pro nobis.
Scala Jacob (Livre de la Genèse XXVII), ora pro nobis.
Speculum sine macula (Livre de la Sagesse VII), ora pro nobis.
Lilium inter spinas (Cantique des Cantiques II), ora pro nobis.
Rubus ardens incombustus (Livre de l'Exode III), ora pro nobis.
Vellus Gedeonis (Livre de Judith VI), ora pro nobis.
Thronus Salomonis (Deuxième Livre des Rois I), ora pro nobis.
Turris eburnea (Cantique des Cantiques VII), ora pro nobis.
Favus destillans (Cantique des Cantiques IV), ora pro nobis.
Hortus conclusus (Cantique des Cantiques IV), ora pro nobis.
Fons signatus (Cantique des Cantiques IV), ora pro nobis.
Puteus aquarum viventium (Cantique des Cantiques IV), ora pro nobis.
Navis institoris de longe portans panem (Cantique des Cantiques IV), ora pro nobis.
Stella matutina (Siracide V), ora pro nobis.
Aurora consurgens (Siracide VI), ora pro nobis.
Pulchra ut luna (Cantique des Cantiques VI), ora pro nobis.
Electa ut sol (Cantique des Cantiques VI), ora pro nobis.
Castrorum acies ordinata (Cantique des Cantiques VI), ora pro nobis.
Solium gloriæ Dei (Livre de Jérémie XIV), ora pro nobis.
A cunctis peticulis, libera nos gloriosa Virgo.
Per salutarem Conceptionem tuam, libera nos gloriosa Virgo.
Per sanctam nativitatem tuam, libera nos gloriosa Virgo.
Per admirabilem Annunciationem tuam, libera nos gloriosa Virgo.
Per Immaculatam Purificationem tuam, libera nos gloriosa Virgo.
Peccatores, te rogamus audi nos.
Ut veram pœnitentiam nobis imetrare digneris, te rogamus audi nos.
Ut societates tibi peculiari obsequio devotas conferuare, et augere digneris, te rogamus audi nos.
Ut Ecclesiæ sanctæ, cunctoque populo Christiano pacem, et unitatem impetrare digneris, te rogamus audi nos.
Ut omnibus fidelibus defunctis requiem æternum impetrare digneris, te rogamus audi nos.
Mater Dei, te rogamus audi nos.
Agnus Dei, qui tollis peccata mundi, parce nos Domine.
Agnus Dei, qui tollis peccata mundi, exaudi nos Domine.
Agnus Dei, qui tollis peccata mundi, miserere nobis.
L'origine de chaque verset était tout à fait précisée dans cette publication. À dire vrai, cette version des litanies était composée à la base de la Bible, donc plus théologique, alors que les litanies de Lorette se caractérisaient davantage de la dévotion vers la Sainte Vierge[rk 2].
Dans la chronologie, les litanies de Lorette étaient mentionnées, en 1531 (Litaniæ Virginis Mariæ), en 1547 (Litaniis) et en 1554 (Litaniarum). Sans précision ni texte, il est difficile à connaître leur détails[lcc 1]. Problème, c'est qu'il existait deux versions de litanies de Lorette. Ce qui demeure certain est que la version actuelle remplaça, finalement, d'autres litanies, y compris ces Litaniæ Deiparæ Virginis ex Sacra Scriptura. En raison de l'origine issue de la procession des Rogations[2], les litanies anciennes étaient si nombreuses qu'à la suite de l'officialisation par le Saint-Siège, la plupart furent éliminés[dab 2].
Sans doute au milieu du XVIe siècle, le prototype des litanies actuelles fut-il fixé et diffusé. Il est à noter la similitude de la structure et des éléments avec les Litanies des saints, publiées dans le bréviaire romain de l'époque, qui étaient tout à fait officielles. Leur origine serait commune[dab 3].
En ce qui concerne la version au-dessus, elle aussi aurait été composé dans la deuxième moitié du XVIe siècle. Car celles-ci étaient présentées dans une lettre de Giulio Candiotti, archidiacre de Lorette, laquelle fut datée du . Candiotti les précisa au pape Grégoire XIII comme lettanie moderne della sanctissima Vergine (Bibliothèque apostolique vaticane, manuscrit Reg. Latin 2020, folio 363)[lcc 2].
Pour sa diffusion, ceux qui jouaient le rôle principal étaient les Jésuites, et surtout Pierre Canisius (mort en 1597)[3],[dab 4]. L'usage de ce texte à Lorette remonterait en 1558 selon Gabriel Pidomson (2019)[4] alors que l'étude d'Angelo de Santi (1897) attribuait l'apparition à l'année 1576[lll 5]. Le manque de documents pendant cette période empêche les recherches.
Publication la plus ancienne en 1558 et contribution des Jésuites
Sans doute la première publication ne fut-elle pas effectuée en Italie. On connaît de nos jours celle qui fut sortie en 1558 à Dillingen en Souabe, où une nouvelle université avait été inaugurée en 1551. Il est possible que Canisius eût contribué à faire inclure les litanies dans ce livre[3],[cc 1] : D. Petre à Soto, Preces speciales pro salute populi Christiani … quibus addita est Letania Loretana.
Pierre Canisius continua à diffuser ce texte. Dans le livre de prière sorti en 1587, il fit imprimer les litanies de Lorette en latin (Manuale Catholicolum in usum pie precandi collectum, folio 398)[3], peut-être sa réponse à l'officialisation par le Saint-Siège. En effet, les litanies étaient très importantes dans le contexte de la Contre-Réforme en Bavière, notamment chez la maison de Wittelsbach à laquelle Canisius était lié[3]. À Munich où se trouvait la citadelle spirituelle du rite tridentin pour les fidèles germanophones, on chantait déjà, avec certitude, les litanies de Lorette en 1570 ou plus tôt[rk 3] et peut-être en faux-bourdon[rk 4]. Nicolaus Serarius[5] (mort en 1609), jésuite, y évoluait la théorie théologique des litanies, afin d'empêcher l'influence de celles des Luthériens. Il précisait encore que les litanies catholiques sont exactement à la base de la Bible, contrairement à ce que les protestantes accusaient[rk 5]. D'ailleurs, l'installation des litanies de Lorette à Rome aurait été achevée par le cardinal Francisco de Toledo, également jésuite, qui était proche des papes. Vraisemblablement lors de son décès en 1596, ces litanies étaient pratiquées à la basilique Sainte-Marie-Majeure[lcc 3].
Compositions musicales à partir de 1575
Dans les archives, il est difficile à trouver les documents pour les litanies de Lorette, si l'on cherche les manuscrits datés avant 1575. En ce qui concerne le domaine musical, en effet, la Sainte Maison de Lorette ne conservait pas de partitions. Alors que la trace de composition en polyphonie des Litanies des saints avait apparu à Naples chez les Franciscains dans les années 1480, de même les œuvres complètes n'existaient pas avant 1575[rk 6]. Et, Costanzo Porta, compositeur distingué mais également franciscain, arriva à Lorette en , en qualité de maître de chapelle[rk 1]. Sitôt installé, il composa, en faveur du samedi, des vigiles et des fêtes importantes, unes litanies mariales à 8 voix en double-chœur[rk 1], adaptées au chœur du sanctuaire comptant dix-huit chantres[rk 7]. À vrai dire, il s'agissait d'une composition selon les litanies dites Deiparæ ou Scriptura (Costanzo Porta, Litaniæ deiparæ Viriginis Mariæ ex Sacra Scriptura depromptæ, Venise 1575[rk 8]).
Toutefois, après cinq ans de service, Porta composa une autre œuvre, maintenant unes litanies de Lorette en 1580, avant de s'en aller vers Padoue. Cela était une composition à septe voix[rk 9]. Le recueil était dédié à Vincenzo Casale, gouverneur de la maison[rk 9]. La version de Lorette que le maître Porta laissa à cette ville en 1580 était en usage encore en 1585[rk 3],[lcc 4].
Quoiqu'il fût un prêtre de la congrégation de l'Oratoire, Tomás Luis de Victoria qui était très fidèle à la Contre-Réforme suivit en 1583 avec sa composition à 8 voix en double-chœur, avant de quitter Rome[rk 10]. L'œuvre d'un autre compositeur, Annibale Stabile[6], fut chantée en , et tous les samedis pendant le Carême. L'auteur et la pièce étaient si fortement liés aux Jésuites que sur la couverture de la partition, on constate le monogramme symbolique (christogramme) de cet ordre IHS[rk 10].
Avant que les litanies de Lorette ne connaissent son immense succès au XVIIe siècle, les Jésuites restaient son promoteur principal. Ainsi, Giovanni Battista Gnocchi, prêtre-compositeur de la basilique Santa Maria della Steccata à Parme, publia ses quatre litanies de Lorette en polyphonie en 1597 ainsi qu'une Scriptura. Sans doute s'agissait-il du premier recueil en Italie tandis que la publication était dédiée à une confrérie jésuite[rk 11].
Publication des litanies à Lorette en 1578
L'édition de 1580 prit les deux versions ensemble, version actuelle et version précisant des textes bibliques (voir ci-dessus). Cette édition se commençait avec une dédicace à Vincenzo Casale, gouverneur pontifical de la Sainte Maison de Lorette[rk 9].
Officialisation et régularisation par le Saint-Siège à partir de 1587
Reste que le pape Sixte V, originaire de Grottammare qui se situe non loin de Lorette, accorda une indulgence de deux cents jours aux fidèles récitant les litanies de Lorette, par une bulle pontificale datée du , qui accordait également trois cents jours d'indulgence avec les litanies du saint Nom de Jésus[7]. Donc, il s'agissait d'une approbation indirecte qui était attachée à son indulgence, ayant pour but de promouvoir les prières de fidèles. Il est à remarquer que la publication effectuée en 1590 (ci-dessus) était tout à fait adaptée à cette bulle : « Quique Litanias ejusdem Sanctissimi Nominis [Jesu] recitaverint, trecentos ; qui Litanias ejusdem Beatissimæ Virginis Mariæ, ducentos ...... et Domo Beatæ Mariæ Virginis usitatum recitentur. » (Sixte V, Reddituri de commiso Nobis grege Dominico, article 4, le [8]).
Or, ce Saint-Père, franciscain, provoqua un conflit avec les Jésuites. Aussitôt élu en 1585, il voulait que le nom de Jésus soit affecté à toute l'Église et à tous les religieux. En 1590, il expédia une autre bulle ordonnant aux membres de renoncer le nom Jésuites en faveur de Ignatiens selon son fondateur Ignace de Loyola. Il s'agissait du commencement de la fameuse suppression de la Compagnie de Jésus. En réponse, l'ordre commença à utiliser les litanies dans l'optique de faire annuler ce règlement[9].
Le Vatican subit encore un autre problème. Texte si populaire, ses variantes étaient, dans les années 1590 après l'approbation, nombreuses et considérables, surtout parmi les compositions musicales. Finalement, les congrégations auprès du Saint-Siège réussirent à maîtriser la situation. Un manuscrit de Giovanni Pierluigi da Palestrina, litanies à 8 voix, présente cette manœuvre délicate. Utilisé à la Cappella Giulia, ce manuscrit à la base d'un texte libre fut corrigé et corrigé, jusqu'à ce que soit établi le texte de Lorette authentique[rk 12].
Approbation définitive pour l'Église universelle en 1601 par Clément VIII
Les chercheurs identifièrent, avec leurs études, dans le cadre de la Contre-Réforme du XVIe siècle, l'intention du Saint-Siège ayant pour but d'éliminer les litanies non convenables. Car, la forme des litanies avait tendance à évoluer sans limite et sans contrôle, en raison de sa structure et du manque d'autorisation concrète. D'où, Pie V, qui était le personnage principal de la reforme tridentine, dénonça, en 1571 avec son motu proprio ainsi que sa bulleSuperni omnipotentis, la suppression de toutes les litanies mariales[rk 13]. Il s'agissait d'une réforme liturgique, qui autorisa un nouveau Officium Beatæ Mariæ Virginis remplaçant l'ancien office Horæ Beatissimæ Virginis Mariæ[cc 2].
Il semble que cette suppression ait provoqué une grosse confusion à la Sainte Maison de Lorette où l'on chantait les litanies tous les samedis. L'hypothèse est qu'aurait été créée la version dite Deiparæ ou Scriptura, qui était construite des textes bibliques et qui ne pouvait être modifiée que par les théologiens savants. Car il n'existe pas de trace, avant 1575, de cette version[lll 1]. Cela serait la raison pour laquelle Costanzo Porta composa en 1575, pour la première fois, les litanies de Scriptura en polyphonie[rk 8],[cc 2]. Or, le Saint-Siège aurait refusé de les utiliser à Rome, lorsque l'archidiacre de Loretto, Candiotti, avait demandé son autorisation de lettanie moderne[cc 3],[lcc 5].
Le motif de cette autorisation fut donné quasiment par hasard. En effet, les erreurs dans les missels romains publiés à Venise étaient tellement nombreuses que Clément VIII avait dû décider de prohiber ces publications (dans Index librorum prohibitorum). En examinant le sujet, le Saint-Père était maintenant conscient de l'existence de trop nombreuses litanies imprimées et de leur irrégularité, ceux que Pie V constatait déjà. En d'autres termes, Clément VIII trouva dans les litanies de nombreux textes inconvenables, révoltés et dangereux. Ces livres, libretti di litanie, avaient été publiés à Venise sans autorisation[lcc 6]. Finalement, il fit déclarer, le , le décretSanctisimmus Dominus noster Clemens Papa VIII. Quoniam multi hoc tempore[11],[ajp 1],[lcc 7], qui interdit, afin de protéger correctement la dévotion et l'invocation des fidèles, toutes les litanies manquant l'examen et l'autorisation de la Sainte congrégation des Rites. Or, les litanies les plus anciennes que le Vatican considérait comme authentiques étaient admises. Il s'agissait de celles qui se trouvaient dans les bréviaires romains, missels romains, pontificaux romains, rituels romains et en particulier, des « Litaniis de Beata Virgine quæ in Sacra Æde Lauretana decantari solent (litanies de la Sainte Vierge qui sont habituellement chantées à la Sainte Maison de Lorette) »[12],[13],[14].
Sans doute, la similitude avec les Litanies des saints qui satisfaisait le critère était-elle appréciée par le Saint-Siège. Car, le décret indiquait qu'il ne faut reciter que ces litanies et celles de la Sainte Vierge[ajp 1]. En 1608, l'évêque et chapitre d'Alexandrie demanda au Vatican sa permission de chanter les litanies du Saint-Sacrement. La réponse de la congrégation des Rites était qu'elle n'avait coutume d'approuver d'autres litanies que les litanies ordinaires et celle de la Sainte Vierge de Lorette. La congrégation continua à refuser de nouveaux textes, même s'ils étaient imprimés, alors que les litanies de Lorette étaient toujours protégées[ajp 2].
Un bréviaire romain sorti en 1674 sous le pontificat de Clément X est le témoin qu'elles étaient chantées aux basiliques du Vatican, après la messe pour rendre grâce[15].
Dans les siècles suivants, le successeur de Clément VIII, Paul V accorda, au début de son pontificat en 1606, soixante jours d'indulgence aux fidèles, à condition d'assister au chant des litanies de Lorette dans les églises des Dominicains[16],[am 2].
En constatant que les litanies non autorisées étaient exécutées dans plusieurs établissements religieux, la congrégation de l'Index ordonna en 1727 de respecter le décret de Clément VIII[ajp 1]. Puis, le pape Benoît XIII attribua en 1728 des indulgences aux litanies de Lorette[17],[18]. En 1757, Benoît XIV confirma encore le décret de Clément VIII, en y précisant que toutes les litanies hormis celles des saints et celles de la Vierge Marie devaient être mises dans l'Index[ajp 1]. Par un décret daté du , Pie VII confirma ceux que Sixte V et Benoît XIII accordaient et évolua encore leurs indulgences[19].
En précisant ces indulgences, la congrégation des Indulgences remarquait en 1878 que les litanies de Lorette peut être recitées, en facultatif, afin de terminer le rosaire[19]. Cette précision fut suivie de la lettre encyclique de Léon XIIISupremi Apostolatus Officio, datée du , dans laquelle le Saint-Père demanda, du au inclus, de réciter le rosaire et les litanies de Lorette. Dans l'optique de promouvoir les offices du rosaire, cette pratique spirituelle était chargée à toutes les paroisses ainsi que recommandée, si chaque autorité préférait, aux établissements dédiés à la Sainte Vierge[20].
Les litanies de la Sainte Vierge sont aujourd'hui l'une des litanies admises dans la liturgie catholique, avec celles qui furent autorisées plus tard, les litanies du Saint-Nom de Jésus (1886), les litanies du Sacré-Cœur (1899), les litanies de Saint Joseph (1909) et les litanies du Précieux-Sang (1960)[21]. Avec les litanies des saints, plus anciennes, ce sont les six litanies autorisées par le Saint-Siège jusqu'ici (voir aussi Modifications de texte aux litanies).
Composition musicale au XVIIe siècle
Aussitôt autorisées par le Saint-Siège, les litanies intéressaient et charmaient les musiciens. Au XVIIe siècle en Italie, la composition de ces litanies devint un véritable phénomène[dab 5]. De nombreux musiciens italiens lassèrent leurs œuvres. Selon l'étude de David Anthony Blazy (1990), il est vraisemblable que la création musicale de ce texte était habituelle en Italie pour tous ceux qui y pratiquaient la composition. On compte 212 musiciens italiens qui composèrent au moins unes litanies de Lorette entre 1601 et 1700[dab 6], avec vers 300 publications[dab 7].
Cette popularité exceptionnelle peut être expliquée par une structure symétrique, logique et assez simple de la version actuelle. D'où, il n'était pas difficile que les compositeurs maîtrisent ce texte. De surcroît, les litanies de Lorette est, pour les célébrants, plus facile à chanter entièrement par cœur[rk 14].
Il faut ajouter une autre raison. Le sanctuaire de Lorette attirait même les musiciens. Ainsi en 1585, Roland de Lassus effectua son pèlerinage, en raison duquel il commença à composer ses litanies assez nombreuses[rk 15]. Plus précisément, ses Litania Beatæ Mariæ Virginis ex sacra scriptura avaient été écrites avant 1581 tandis que Lassus composa douze œuvres de litanies laurentanæ à la suite de ce pèlerinage[rk 3],[3]. Ces compositions vraiment florissantes étaient, d'ailleurs, liées au profit de ses patrons, la maison de Wittelsbach et les Jésuites, qui restaient de grands souteneurs des litanies de Lorette[rk 3].
Certaines publications de ce siècle indiquaient que les litanies de Lorette étaient également chantées tant après quelques offices (Tierce, Vêpres, Complies) qu'à la fin de la messe. En ce qui concerne les vêpres, 80 % de publications plaçaient les litanies juste après le cantiqueMagnificat, ce qui présente l'importance de ces litanies[dab 8].
Évolution de l'usage
Il existait plusieurs raisons pour lesquelles les litanies de Lorette devinrent populaires. Il est à remarquer deux événements principaux qui favorisèrent profondément sa pratique. D'une part, la Contre-Réforme recommandait l'usage de ces litanies pour la dévotion adressée à la Sainte Marie, ce que les protestants n'admettent pas en tant que dogme. D'autre part, il ne faut pas oublier le dégât de l'épidémie de peste en Italie de 1629-1631 qui dévasta ce pays. Ainsi à Venise, dès le , les litanies furent exécutées durant une semaine, en dévotion à la Notre Dame de Nicopeia. La procession s'accompagnait des litanies chantées en double-chœur à partir de la basilique Saint-Marc[dab 9]. On constate une augmentation importante de publications après cette période de peste, dont la qualité des œuvres était supérieure[dab 10]. D'ailleurs, cette pandémie promut l'office du Saint-Sacrement faisant pratiquer les litanies[dab 11].
Dans la liturgie, l'utilisation évolua encore. L'office de l'Immaculée Conception, qui avait été autorisé le par le pape Paul V, officialisa l'usage à la fin des complies avec l'antienneSub tuum præsidium[dab 12]. Cette pratique fut établie notamment pour le samedi tandis qu'en beneficiaient toutes les fêtes dédiées à la Sainte Vierge[dab 11]. Par ailleurs, la congrégation de l'Oratoire les utilisait en faveur des exercices spirituelles[dab 11].
En résumé, chanter les litanies de Lorette avait lieu, tant dans la célébration publique telle la procession qu'auprès de l'assemblée pour la dévotion particulière telles les confréries[dab 11].
Usage actuel
Les litanies de Lorette se réservent toujours aux célébrations solennelles.
Notamment en , celles-ci étaient chantées chaque jour, à la fin du dit marathon de prière, qui était effectué selon l'intention du pape François souhaitant la disparition de la pandémie de Covid-19. En effet, dans la lettre apostoliqueRosarium Virginis Mariæ datée du , Jean-Paul II recommandait l'antienneSalve Regina et les litanies de Lorette en faveur de terminer la prière du rosaire. Le Saint-Père polonais expliquait : « la splendide prière des Litanies de Lorette », « c'est le couronnement d'un chemin intérieur, qui a conduit le fidèle à un contact vivant avec le mystère du Christ et de sa Mère très sainte »[22].
Images des Litanies de Lorette
48 scènes relatives aux litanies de la Sainte Vierge, Met Museum de New York
Notre-Dame de Lorette, au milieu des symboles des litanies laurétaine - Tabernacvlvm dei cvm hominibvs.
La Sainte Vierge avec les symboles des litanies de Lorette, MET Museum, New York
Annonciation et prières des Litanies de Notre-Dame de Lorette, au milieu des symboles - Tabernacvlvm dei cvm hominibvs
Xylogravure italienne de 1690-1710- Madone de Lorette avec symboles des litanies laurétaines
Pour les fidèles catholiques, les modifications effectuées à partir de 1883 doivent être respectées, car elles furent tenues à la suite de l'adoption de nouveaux dogmes (voir aussi Modifications de texte aux litanies).
Structure des Litanies
Les litanies de Lorette se compose de huit parties desquelles de nombreux termes se trouvent dans d'autres sources de l'époque[25] :
Kyrie (voir aussi Letanie devotissime au-dessous[lll 6])
Sainteté de la Vierge Marie (voir aussi Letanie devotissime in laude de la Vergine Maria Advocata sollicita de'Peccatori[lll 6])
Mère du Christ (voir aussi une synthèse de quatre manuscrits[lll 3])
Virginité (voir aussi Ora dicenda die sabbati ad honorem intemerate Dei genitricis Virginis Marie[lll 7])
Titres et vertus (voir aussi Litanies de nostre Dame publiées à Paris chez Jamet Mettayer en 1586[lll 8])
Avocate (voir aussi la fin des Litanies de nostre Dame[lll 9])
Reine du ciel (voir aussi la même synthèse d'Angelo de Santi[lll 10])
Après l'interdiction des litanies non autorisées, laquelle fut déclarée en 1601, le Saint-Siège ne souhaitait aucun changement. Toutefois, au XIXe siècle, le Vatican commença à les faire évoluer :
Il se fut agi d’abord d'approuver quatre nouvelles litanies. Ensuite, les litanies de Lorette connurent des évolutions successives dans leur texte, à la suite de celle des dogmes théologiques.
Aussi, les litanies de Lorette ne sont-elles pas des prières figées dans le temps. Au contraire, elles sont toujours renouvelées, il s'agit d'une confession catholique et théologique de laquelle l'Église recommande aux fidèles en hommage à la Vierge Marie, avec de petits mots, mais les mots dogmatiques les plus importants. Elles respectent autant la tradition depuis le début du christianisme que la pensée de l'Église vivante.
Regina sine labe concepta (1839) > Regina sine labe originali concepta (1883) Au début du XIXe siècle, l'invocation pour la Notre Dame de l'Immaculée Conception devint si forte que le Vatican voulait promouvoir le culte de Sainte Marie. En conséquence, entre 1839 et 1844, cent trente évêques demandèrent au Saint-Siège d'insérer cette invocation dans les litanies de Lorette[26]. Sous l'approbation du pape Grégoire XVI donnée le , parmi eux, l'archevêque de Paris Hyacinthe-Louis de Quélen accorda, aux fidèles de son diocèse, la pratique de l'invocation « Regina sine labe concepta, ora pro nobis » avec son mandement daté du . Ce texte « Regina sine labe concepta » juste avant l’Agnus Dei resta en usage pendant quarante-quatre ans[27]. Or, en autorisant un nouveau ajout Regina Sacratissimi Rosarii, le Vatican sous le pontificat de Léon XIII précisa que Regina sine labe originali concepta, addatur præconium, Regina Sacratissimi Rosarii[27], à savoir, le mot originali fut définitivement ajouté en 1883 et désormais est obligatoire[27]. De surcroît, toutes les modifications de texte sont dorénavant réservées à l'Église universelle et non facultatives (à Paris, obligatoire à partir de 1839, selon l'article no 3). — Archevêque Hyacinthe-Louis de Quélen, Mandement de Monseigneur l'archevêque de Paris, au sujet de l'Immaculée Conception de la très-sainte Vierge Marie, Mère de Dieu, Adrien Le Clere et Cie, Paris 1839
Regina Sacratissimi Rosarii (1883) L'invocation de « Regina Sacratissimi Rosarii » fut prescrite par le pape Léon XIII dans un bref du Salutaris illa[28],[29]. Ce bref suivit la lettre encycliqueSupremi Apostolatus Officio ayant demandé la pratique du rosaire au mois d' entier.
Regina pacis (1917) À la suite du commencement inattendu de la Première guerre mondiale, le pape Benoît XV, qui souhaitait la fin de cette guerre, fit l'ajout de l'invocation « Regina pacis » aux litanies, par le décret de la Congrégation des Affaires ecclésiastiques extraordinaires, daté du . Cette insertion était provisoire. Puis, le , le Saint-Père ordonna, dans sa lettre destinée au cardinal Pietro Gasparri, secrétaire d'État de Sa Sainteté, de l'y ajouter définitivement à partir du [31].
Regina in cælum assumpta (1950) Le cardinal Micara annonça la décision du pape Pie XII de décréter l'ajout de l'invocation « Regina in cælum assumpta » après l'invocation « Regina sine labe originali concepta » le [32]. L'ajout fut suivi, le , de la déclaration du dogme de l'Assomption de la Bienheureuse Vierge Marie[33].
Mater Ecclesiæ (1964) Le terme « Mater Ecclesiæ » fut déclaré, à la suite du concile Vatican II, lorsque la constitution dogmatique Lumen gentium fut signée par saint Paul VI le [34], selon laquelle le mot fut introduit dans les litanies. Ce terme était le mot clés de cette constitution. Le pape l'avait expliqué lors de l'audience générale précédée et tenue le [35].
Regina familiæ (1995) Saint Jean-Paul II considérait que la famille et le mariage demeurent le corps essentiel de l'Église, desquels la Reine du ciel est la protectrice. Après avoir dénoncé la lettre Gratissimam Sane sur ce sujet le [36], il fit introduire le terme « Regina familiæ » dans les litanies le , lors de l'Angélus à midi. Une coïncidence du calendrier de cette année faisait la fête de la Sainte Famille avec le dernier jour de l'année[37]. La décision fut tenue après la clôture du 700e anniversaire de la Sainte Maison de Lorette en novembre[38].
Mater misericordiæ, Mater spei et Solacium migrantium (2020) À la suite d'une demande du pape François, trois nouvelles invocations furent insérées le par la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements : « Mère de miséricorde / Mater misericordiæ », « Mère de l’espérance / Mater spei » et « Réconfort des migrants / Solacium migrantium »[39].
Le Miracle de la sainte maison de Lorette, fresque du plafond de Santa Maria de Nazareth des déchaussés de Venise, Giambattista Tiepolo, détruite par un bombardement autrichien en 1915.
Pekka Kostiainen (1944-) : Différentes Litanies pour choeur mixte, choeur féminin et choeur masculin (notamment in Mater Nostra album : 9 Litaniae Lauretana, Agnus Dei)
Musique Jazz
Massimo Faraò. Massimo Faraò trio (classics in smooth jazz) : Agnus Dei / Litaniae Lauretana de Beata Maria Vergine K195
Œuvres instrumentales
Franz Liszt (1811-1886) : Litanies de Marie pour piano, LW A61, no 4 (S695a), dans le recueil Harmonies poétiques et religieuses (1847)[87]
1626 : Rosarium litaniarum Beatæ V. Mariæ ternis, quaternis, quinis, senis, septenis, et octonis vocibus concinandarum. Una cum basso ad organum. A D. Laurentio Calvo in Æde Cathedrali Papiæ musico, ex varijs authoribus desumptum nunc primum in lucem æditum., Venise, Alessandro Vincenti[dab 64]. (Cela était une publication importante dont les compositeurs étaient des musiciens les plus distingués de l'époque[dab 65].)
Breviarium Romanum cum Psalterio proprio et officiis sanctorum ad usum cleri Basilicæ Vaticanæ Clementis X, Sebastianus Mabre-Cramoisy, Paris 1674 - Litaniæ Beatæ Mariæ Virginis (texte officiel selon le rite tridentin) [lire en ligne] - N.B. Litaniæ [lire en ligne]
Arthur Martin, Les litanies de Notre-Dame de Lorette, expliquées par le P. Arthur Martin, de la Compagnie de Jésus, Et enrichies de trente-six Lithographies en couleur et en or par Gigniez et Launay, Debost et Desmottes, Paris 1844 [lire en ligne]
Jean-Baptiste Gergères, Le culte de Marie, origines explications, beautés, Ouvrage approuvé par Mgr l'Archevêque de Bordeaux, Ambroise Bray, Paris 1857 [lire en ligne]
Références bibliographiques
Analecta juris pontificii, Dissertations sur divers sujets de droit canonique, liturgie et théologie, première série, Librairie de la Propagande, Rome, 1855 [lire en ligne]
Angelo de Santi, Le Litanie Lauretane : Studio strico critico, y compris sa Conclusione, dans La Civiltà Cattolica, série XVI, tome X, no 1123, 1897 (it)[lire en ligne]
Robert Kendrick, Honore a Dio, e allegrezza alli santi, e consolazione alli putti : The Musical Projection of Litanies in Sixteenth-Century Italy, dans la revue Sanctorum, tome VI, p. 15 - 46, 2009 (en)[lire en ligne]
Carme López Calderón, Symbols and (Un)concealed Marian Mysteries in the First Litany of Loreto Illustrated with Emblems : Peter Stoergler's Asma Poeticum (Linz, 1636), dans le livre Quid est secretum ?, Brill, Boston, 2020 [lire en ligne]
↑Giorgio Caravale, Forbidden Prayer : Church Censorship and Devitional Literature in Renaissance, p. 183-186, 2016 (en italien 2011) (en) [10]
↑Baptista Pittono, sacerdote veneto collectore, Constitutiones Pontificiæ et Romanarum congregationum decisiones ad sacros ritus spectantes, p. 42, 1730 (la) [11]
↑Heinrich Samson, Die Allerheiligen-Litanei, p. 12 , 1894 (de) [12]
↑Breviarium romanum cum psalterio proprio et officiis sanctorum ad usum cleri basilicæ vaticanæ Clementis X auctoritate editum, Pars æstivalis, p. ccxix, 1674
↑Recueil d'indulgences plénières et partielles, accordées par le Saint Siège de Rome aux fidèles chrétiens : extraites soigneusement des bulles des souverains pontifes, renfermées dans le bullaire, ou citées par Théodorus a S. Spiritu, L. Ferraris et autres savans théologiens, J. Begyn, (lire en ligne)
↑Jean-Baptiste Bouvier, Traité dogmatique et pratique des indulgences, des confréries et du jubilé à l' usage des ecclésiastiques, Méquignon, (lire en ligne)
↑ ab et cCongrégation des Indulgences (Vatican), Recueil de prières et d'œuvres pies auxquelles les Souverains Pontifes ont attaché des indulgences publié par ordre de Sa Sainteté N. S. P. le Pape Pie IX, p. 168-170, Rome, 1878 [13]
↑Site du Vatican, Rosarium Virginis Mariæ, chapitre 37 Début et fin, le [15].
↑Paroissien romain : Contenant l'office des principales fêtes de l'année, les prières du matin et du soir, les vêpres et complies du dimanche, etc, Alfred Mame et fils, (lire en ligne)
↑ ab et cNouvelle revue théologique, tome XX, p. 548, 1888 [19]
↑Jules Wagner, Dictionnaire de droit canonique, tome III, p. 393-394, 1894 [20]
↑ a et bHubert du Manoir (éd.), Maria, tome IV, p. 98, 1956 [21]
↑Frédéric de Ghyvelde, Notre Dame du Bon-Conseil, p. 30-32, 1903 [22]
↑Vatican, Éptétique, le (it) [23] ; traduction en français, Actes de Benoît XV, tome I, p. 149-150, Paris 1924, numérisés par Bibliothèque Saint Libère en 2010 [24]