RetableLe retable (du latin retro tabula altaris, « en arrière d'autel ») est une construction verticale qui porte des décors sculptés, parfois peints, en arrière de la table d'autel d'un édifice religieux (église, chapelle). L'étymologie du mot français est la même que celle du mot espagnol retablo, alors que l'italien emploie les termes pala d'altare et dossale. Orné de représentations historiées ou figurées, le retable peut être en différents matériaux (métal, ivoire, bois, émail, pierre) et ses décors sont souvent dorés. Il a l'avantage sur l'antependium de l'autel d'être largement visible. Il est fréquent qu'un retable se compose de plusieurs volets, deux pour un diptyque, trois pour un triptyque voire davantage pour un polyptyque. Le retablier est un sculpteur ou un architecte qui réalise des retables. Il s'associe les compétences de nombreux artisans-artistes (sculpteurs, peintres, doreur, polychromeur, huchier) pour les réaliser. HistoriqueLa table d’autel est le symbole du Christ, et dans la liturgie chrétienne primitive il est interdit d’y poser quoi que ce soit. Puis vers la fin du IXe siècle, d'abord en France semble-t-il, est pris l'habitude de disposer de nombreux autels latéraux et d'y placer les reliques des saints, bientôt suivies par d’autres objets liturgiques. Cette pratique est confirmée par l’Admonitio synodalis, texte pontifical qui préconise de ne garder sur l’autel que les urnes des saints (capsae), l’évangéliaire et la pyxide. À l'origine, le retable est ainsi un simple rebord situé à l'arrière de l'autel où sont posés ces objets[1]. Situé au-dessus de l'autel, le retable est comme la concentration de tout l'ensemble figuratif qui décore l'église : le mystère de la messe et l'élévation, vénérée et attendue, de l'hostie se font devant sa surface peinte, point de convergence de tous les regards ; sa splendeur et sa taille souvent impressionnante constituent le support figuré de la cérémonie, à laquelle les saints représentés sont comme présents, témoins attentifs et bienveillants de la ferveur des fidèles[2]. À la fin du XIe siècle, le retable devient un véritable écran de pierre ou de bois sculpté, cette paroi surélevée et historiée n'étant plus seulement placée derrière les autels latéraux. Avec la réforme grégorienne et la nouvelle pratique du mystère de l’eucharistie, le maître-autel est en effet placé au fond de l'abside et le prêtre célèbre face à lui, dos aux fidèles. Peu à peu, les parois représentant les fêtes liturgiques que l'on place derrière se transforment en grands retables mobiles (posés lors de certaines cérémonies) ou fixes (pour les autels adossés à un mur)[3]. À partir du XIVe siècle, le développement de la peinture sur panneau propose diverses formules d'agencement, triptyques ou polyptyques, accompagnés ou non d'une prédelle et d'un couronnement[4]. Ces tableaux d'autel servent à honorer essentiellement la vierge Marie, mais aussi les deux ordres principaux, franciscains et dominicains. L'un des premiers retables[5] qui comporte cette structure classique (couronnement, prédelle et tableau principal) est La Maestà peint par Duccio di Buoninsegna pour la cathédrale Santa Maria Assunta de Sienne au début du XIVe siècle. Le revers des volets est alors fréquemment peint en grisaille, couleur apparentée aux périodes liturgiques de pénitence pendant lesquelles les retables restent fermés. Ce n’est que pendant certaines époques de l’année liturgique – les cycles des grandes fêtes religieuses et les jours de fête du patron d’une église ou de celui d’une guilde ou corporation qui possède un autel – que les retables restent ouverts ; l’éclat de l’or et de la polychromie contribuent à accentuer la signification de la commémoration ou de la fête liturgique[5]. Simple et peu élevé jusqu'au début du XVe siècle, le retable prend progressivement des dimensions considérables et devient le plus souvent fixe. L'âge d'or du retable est la Contre-Réforme : le tabernacle contenant les hosties consacrées est placé au milieu du maître-autel à la fin du XVIe siècle et le retable baroque qui peut se déployer jusqu'à la voûte supplante l'autel. Servant à mettre en valeur le Saint-Sacrement et le tabernacle, le retable témoigne alors de la théâtralisation du culte et du goût pour l'ostentation, le décor exubérant. Se met en place à cette époque la typologie qui s'est maintenue jusqu'au XIXe siècle : retables proprement architecturaux, retables-lambris, retables-tabernacles[6]. Au XVIIIe et XIXe siècles, beaucoup de retables disparaissent, faute de restauration, certains de leurs éléments étant réemployés. Les retables forment aujourd'hui souvent des ensembles hétérogènes, conséquence de leur histoire mouvementée : il n'est pas rare qu'ils soient déplacés ou que les statues originales aient disparu et soient remplacées par d'autres[7]. Composition d’un retableLe retable simple est composé de trois parties principales : la caisse ou huche qui détermine la forme de l'ensemble, les volets peints qui s'y adaptent, et la prédelle peinte ou sculptée, parfois munie de volets peints sur laquelle il repose. Les piliers de bois qui entourent ou séparent les panneaux sont appelés pilastres, ceux qui enserrent le retable sont les contreforts. Le retable est structuré en compartiments horizontaux (les registres) et verticaux (les travées). La plupart des retables s'inscrivent dans une tendance au compartimentage de la huche, le plus souvent tripartite (triptyque) L'encadrement architectural est souvent réalisé avec des colonnes ou des volutes et un entablement à l'antique (entablement droit ou cintré, parfois pourvu de décrochements, de ruptures de ligne, de ressauts). Le retable architecturé comporte un ou plusieurs corps (avec généralement un corps central unique ou tripartite). La retable est souvent percé de niches abritant des bustes ou statues de saints. La plus importante est la niche d'exposition du tabernacle central. Le retable peut être paré d'un superciel, encorbellement qui protège la peinture et la sculpture de la poussière et d'éventuelles chutes de gravats. Les panneaux et piliers sont souvent ornés de guirlandes ou chutes de feuillage ou de fruits, d'arabesques, de volutes, de rinceaux, d'anges thuriféraires. Sa partie supérieure est surmontée le plus souvent par un entablement et un couronnement orné d'éléments décoratifs (fronton, console, tourelle, lanternon, clocheton, gâble, pinacle, pyramidion, pot à feu, gloire)[10]. Caisse ou hucheDepuis le XIVe siècle, l’intérieur de la huche et de la face correspondante des volets est partagé en compartiments verticaux comportant des reliefs sculptés qui sont couronnés par des décors architectoniques finement taillés. Le revers des volets ou portes est pourvu de panneaux peints. Jugeant que la manipulation des volets était trop lourde, leurs sculptures intérieures furent de plus en plus souvent remplacées par des peintures. Les retables de commande de la fin de l’époque gothique sont pourvus d’une double paire de portes ; l’intérieur de la première est occupé par des reliefs sculptés, tandis que l’extérieur forme, avec l’intérieur des secondes portes, un polyptyque peint que l’on peut également fermer. La caisse d’un retable est toujours de forme rectangulaire. Depuis la fin du XIIIe siècle, la travée centrale est surélevée. L’encadrement profilé de la huche évolue cependant vers l’accolade. Le contour des volets fermés épouse étroitement celui de la partie antérieure de la caisse. La caisse peut être équipée d'éléments de protection : portes parfois confondues avec les volets fermants, courtines, gardes-poussières (moulures en plus forte saillie)[11]. VoletsLes volets sont les panneaux latéraux du polyptyque reliés au panneau central ou aux autres volets. Ces volets peuvent être fixes (volets non fermants) ou mobiles (volets fermants articulés par des charnières) . Dans ce dernier cas, ils sont obligatoirement deux fois moins larges que la huche de manière à se refermer sur elle. Les volets ferment le retable en fonction du calendrier liturgique et offrent à la vue leur revers[12]. Lorsque disparaissent les retables à volets, au XVIe siècle, le terme de pala, au féminin, sert à désigner le tableau à panneau unique, et qui peut ou non présenter plusieurs compositions dont une majeure[13]. PrédelleLa prédelle est la partie inférieure du retable, développée horizontalement, qui sert de support aux panneaux principaux. Cette frise qui constitue une sorte de gradin intermédiaire posé sur la table d'autel, est peinte ou sculptée. Elle peut être composée d'une seule planche en longueur, ou de plusieurs panneaux (le plus souvent trois) correspondant au découpage de la composition ou du récit iconographique qui illustre sous forme narrative ou allégorique des épisodes bibliques. La prédelle servait parfois de socle au retable, ce qui permettait de fermer ses volets sans ôter les objets posés sur l’autel. Ce gradin isole également les panneaux principaux supérieurs des risques présentés par les flammes des cierges sur la table d'autel[14].
FabricationAu XVe siècle l’exécution d’un retable était une entreprise qui engageait diverses personnes. En premier lieu, le huchier qui confectionne la caisse et l’ébéniste qui réalise la menuiserie décorative ; ensuite, l’imagier taille les reliefs d’après un modèle livré par un peintre ; suivent le polychromeur et le doreur qui étoffe le tout ; ils sont payés davantage que le sculpteur ou le peintre parce qu’ils travaillent la coûteuse feuille d’or ; finalement le peintre livre les panneaux peints des volets. Au début du XVIIe siècle, naît un nouvel élément de décor intérieur d'église : le retable de tuffeau et de marbre qui fera la renommée des architectes lavallois dans tout l'Ouest de la France. Retables célèbres
Retables en France classés par départementAube
Bouches du Rhône
Côtes-d'Armor
Finistère
Ille-et-VilaineL'Ille-et-Vilaine conserve de nombreux retables de l'école lavalloise, essentiellement situés dans la zone toilière couvrant la région vitréenne et le sud du pays fougerais. D'autres styles de retables sont également présents (Louis XIII, Louis XV, Louis XVI, baroque).
(XVIIIe siècle)[17] Jura
Maine-et-LoireUne école de retable angevin a pris le relais de l'école des retables lavallois à la fin du XVIIe siècle. Le conseil général en a publié un inventaire en 2005[20]. Sont cités :
MayenneQuatre retables Renaissance (XVe siècle) sont répertoriés en Mayenne, le plus ancien en calcaire peint (1401) représentant une scène de crucifixion dans l'église Notre-Dame de Saulges[21], une autre crucifixion monolithe peinte à l'église de Saint-Berthevin-la-Tannière[22] et deux retables à dais, un sculpté dans le calcaire à l'église Saint-Sixte de La Chapelle-Rainsouin[23], un en bois peint exposé au musée du château de Mayenne limite XVe siècle début XVIe siècle.
La Mayenne a connu une production intense de retables baroques au XVIIe siècle, à l'époque de l'école lavalloise. Beaucoup de ces retables sont encore visibles dans les églises du département, mais l'œuvre des artisans lavallois est aussi visible dans des régions voisines, notamment la Bretagne. L'école lavalloise a périclité à la fin du XVIIe siècle, cédant la place aux artistes angevins. Elle a néanmoins connu un bref renouveau au milieu du XIXe siècle ; 219 ensembles figurent dans la base palissy[24]. Les plus importants sont[25] :
Meurthe-et-Moselle
Meuse
Moselle
Nord
Pyrénées OrientalesLes Pyrénées catalanes sont riches en retables, pour la plupart encore en place. ils se répartissent en quatre périodes : romane, gothique, renaissance et, en profusion, baroque[26].
Haut-Rhin
Vosges
Yvelines
Retables de Flandres, du Brabant et du HainautAu cours de la seconde moitié du XVe siècle, le retable évolue vers une forme de décor d'autel de plus en plus demandée et commanditée, ce qui incite la collaboration entre maîtres de centre de production différents. La difficulté d'attribuer un retable à un auteur spécifique explique le regroupement des œuvres sur la base de critères stylistiques (ateliers malinois, bruxellois, anversois)[29] Le Hainaut développera des retables en pierre comme on peut en découvrir à Nivelles, Mons. La ville anversoise développera des retables presque standardisés de par ses facilités d'exportation. À Malines ils seront inspirés par la thématique de la vierge Marie. Bruxelles aura cette singularité des retables uniques et si particuliers comme le retable de Saluce que l'on peut découvrir à la maison du Roi et qui démontre le savoir faire de la sculpture brabançonne. Les retables brabançons, qu'ils soient anversois, malinois ou bruxellois se retrouvent dans bon nombre d'églises du Royaume de Belgique (Ham-sur-Heure en possède un remarquable). Les retables flamands des XVe et XvIe siècles se caractérisent par leur réalisme. On passe en effet d'un art médiéval fortement basé sur des symboles stéréotypés à « une représentation marquée par un souci de restitution « réaliste » des divers éléments de la composition : espace, personnages, décors et sentiments. » Outre un grand soin dans la restitution de l'espace urbain et intérieur, « ce nouveau réalisme s’accompagne également dans les retables flamands d’un réalisme psychologique qui s’attache par l’expression des gestes, des visages et des mains notamment, à rendre l’atmosphère psychologique des événements évoqués. Certains groupes sculptés constituent à cet égard de véritables catalogues de réactions psychologiques[30]. »
Retables en ItalieLe retable connait un développement exceptionnel en Italie au XIVe siècle et au XVe siècle[31]. Outre l'autel principal de l'église, chaque chapelle peut recevoir son retable et chaque église peut ainsi accumuler les œuvres dévotes. Ce goût est confirmé par le goût des « pseudo-retables » peints à fresque en trompe-l'œil, comme celui de Benozzo Gozzoli dans la chapelle de Saint-Jérôme à l'église Saint-François de Montefalco par exemple, ou la fameuse Trinité de Masaccio à Santa Maria Novella de Florence[2]. Le peintre ou le commanditaire multiplient le nombre des panneaux et accroissent ainsi la taille de l'œuvre : le polyptyque peut être un simple triptyque, mais il peut avoir aussi cinq panneaux, sur un ou deux niveaux. Les montants du cadre se couvrent aussi d'images. À Santa Maria della Pieve d'Arezzo, Pietro Lorenzetti réalise en 1320 un ensemble de vingt-trois panneaux sur fond d'or, et le cas n'est pas exceptionnel. La Maestà de Duccio comporte sur sa face antérieure, 37 panneaux et 52 sur la face postérieure. La prolifération des panneaux est suscitée dans les polyptyques peu narratifs par la dévotion des fidèles qui accumulent les saints susceptibles d'intercession ou dignes d'une glorification particulière[2]. Au XVe siècle, le polyptyque se transforme en pala, c'est-à-dire en panneau unique de grandes dimensions. Les peintres italiens font alors un effort particulier pour réunir dans un même « espace » les personnages qui étaient juxtaposés dans les panneaux du polyptyque. Ils recherchent une meilleure définition des rapports entre le personnage peint et le lieu qu'il est supposé occuper. Dans le polyptyque, traditionnellement, la figure occupe le plus pleinement possible l'espace de son panneau ; l'or détermine, sur le fond, une limite immatérielle, et l'encadrement sculpté pose, vers la spatialité profane du spectateur, une limite analogue. Le XIVe et le XVe siècle visent à définir plus précisément la façon dont la figure occupe l'espace qui est supposé se développer au delà d'un cadre de plus en plus conçu comme « encadrement » d'une fenêtre ouverte : le personnage s'installe dans un espace tridimensionnel. L'architecture peinte prend une importance grandissante : elle sert à situer, à l'intérieur même de l'image, la figure dans un espace doué d'une profondeur clairement construite. Des scènes narratives, Nativités, Adorations, Martyres, sont introduites dans le panneau principal auparavant occupé par un saint monumental. L'espace occupé par les personnages s'ouvre à la présence plus vivante, éventuellement active, d'une figure : l'expression du visage, la gestuelle des corps instaurent le mouvement. Les thèmes traditionnels sont traités d'une façon de plus en plus animée : la Madone entourée de saints demeure l'iconographie la plus courante, mais les saints se réunissent autour de la Vierge dans un espace unifié, à la tridimensionnalité de plus en plus affirmée. La « Sainte Conversation » est mise au point au début du Quattrocento. Très vite, les personnages nouent entre aux des relations presque anecdotiques ; cette évolution signe « l'humanisation narrative de la figuration sacrée »[2]. Le Retable composé de neuf panneaux que Stefano Sparano, peintre napolitain, a réalisé vers 1508-1509, est conservé au Musée de Picardie d'Amiens. Dans la culture contemporaineEn 1992, en confrontant La Cène d'Emmaüs, le Portrait d'Innocent X de Vélasquez et Le Cardinal Fernando Niño de Guevara de Le Greco à la réalité quotidienne de l'Amérique Latine dans son triptyque Dar al Cesar (Vélasquez, Le Greco, Goya)[32] qui par de nombreux aspects est identifiable à un retable[33], le peintre péruvien Herman Braun-Vega détourne l'usage traditionnel du retable pour en faire une critique politique de l'Église au sujet de son attitude face à la théologie de la libération des religieux sud-américains Leonardo Boff et Gustavo Gutiérrez Merino[34]. En 2017, Mon père, film péruvien d'Álvaro Delgado-Aparicio, dont le titre original est Retablo, raconte l'histoire d'un adolescent qui apprend auprès de son père le métier d'artisanat très populaire au Pérou, l'art du retable[35]. Notes et références
Voir aussiArticles connexes
Bibliographie
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