Promoteur d'une photographie vernaculaire[4], figure majeure de la photographie américaine du XXe siècle, Walker Evans conservera de sa vocation littéraire le souci d'un regard attentif sur les villes et sur ceux qui y vivent.
Par sa portée humaniste et documentaire, l'œuvre qui marque très tôt sa différence avec les courants contemporains saura influencer toute une génération.
Vie et œuvre
Son père travaille pour une agence de publicité appelée Lord & Thomas et la famille déménage au fur et à mesure de ses promotions, dans l'Illinois puis en Ohio[1]. À 16 ans, il intègre un pensionnat du Connecticut puis rejoint sa mère et sa sœur à New York[5].
En 1926, il part à Paris pour treize mois. Il suit les cours à la Sorbonne et au collège de la Guilde[6]. Il prend quelques instantanés avec un appareil petit format. Il se rend dans le Sud de la France pendant l'été 1926 et en , et visite l'Italie en avril.
Quand il revient de France, il s'installe à Brooklyn et fréquente des artistes. Il devient ami avec la photographe Berenice Abbott, laquelle lui fait découvrir le travail du photographe français de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle Eugène Atget. Il travaille notamment sur les enseignes publicitaires des murs des villes et les maisons de banlieue identiques. En 1933, une quarantaine des photos d'une de ses séries (sur l'architecture victorienne de la région de Boston) sont exposées au Museum of Modern Art (MoMa). En 1933 également, il voyage à Cuba et prend en photo des maisons de bord de mer. Il commence à collaborer avec le magazine Fortune en 1934. À partir de 1935, il réalise des reportages pour le département de l'information du département de l'Agriculture (RA puis FSA), lequel aide les fermiers touchés par la Grande Dépression. Il se déplace ainsi en Pennsylvanie, à La Nouvelle-Orléans, en Alabama, au Mississippi, en Géorgie ou encore en Virginie-Occidentale. En , il suit l'écrivain James Agee, que Fortune a chargé d'écrire un article sur les métayers du Sud vivant dans la misère. En 1938, le MoMa organise la première exposition monographique majeure qui lui est consacrée : « Walker Evans, American Photographs ». Par la suite, il change ses habitudes de pose frontale en prenant des passagers du métro de New York à la sauvette[5].
Il obtient une bourse de la Fondation John-Simon-Guggenheim en 1940, 1941 et 1959. Il collabore au magazine Time entre 1943 et 1945, où il écrit des comptes-rendus de films, de livres et d'expositions[5]. Cette même année, il devient professeur de photographie à l'école d'art de l'université Yale.
Il accumule une collection de 9000 cartes postales. Il en réalise un portfolio qu'il offre à la fin de sa vie au MoMa[5].
On remarque dans son travail les regards des sujets fixant l'objectif : pas de doute, le sujet se sait photographié. Pour autant, il ne se compose pas un visage de circonstance orné d'un sourire obligatoire. Ici la photographie ne se contente pas de montrer, elle interroge le spectateur, l'Américain des années 1930 : si le sujet se laisse photographier dans cette posture, c'est que son regard a quelque chose à nous dire. Ce n'est peut-être plus nous qui le regardons mais lui qui nous accuse. Cette franchise du photographe préserve une dignité humaine mise à mal par la misère qui se laisse voir dans les vêtements en loques. Cet aspect de son travail est d'autant plus intéressant que c'est le même Walker Evans qui, entre 1938 et 1941, photographia des passagers du métro à leur insu. Un livre rassemblant cette série de clichés sera publié plus tard.
Walker est l'une des plus grandes figures humanistes de la photographie du XXe siècle. Américain originaire du Missouri, il rêvait de devenir écrivain et suivit des études en littérature française à la Sorbonne en 1926. Mais à son retour, il rencontra la photographie, qu'il réinventa en la hissant, au-delà du reportage et de la belle image, au rang d'œuvre d'art. Tels ses clichés saisissants sur l'Amérique rurale des années 1930, avec ses maisons en bois blanches et grises, ou ses portraits de femmes et d'hommes au regard triste et confiant.
En 1935, Walker Evans part en mission et rapporte des photographies s'inscrivant dans la lignée de ses précédents travaux. Prises à la Chambre photographique, d'une impeccable précision, elles s'attachent à l'architecture vernaculaire, aux intérieurs, aux pancartes et aux affiches autant qu'aux problèmes directement traités par la FSA. Son impact dépasse l'influence stylistique individuelle et s'étend désormais à la conception même du projet de la FSA, s'agissant en particulier de l'élargissement thématique de l'ensemble du traitement des seuls problèmes agricoles vers un projet de documentation visant l'ensemble de la société et de la culture vernaculaire.
1938-1941 : « The Passengers ». Appareil photo au cou et déclencheur dans la manche, Walker Evans saisit des portraits d’anonymes dans la rue ou le métro, à leur insu.
« Vous ne voulez pas que votre travail découle de l'art ; vous voulez qu'il commence avec la vie, et elle est dans la rue maintenant. Je ne suis plus à l'aise dans un musée. Je ne veux plus y aller, je ne veux plus qu'on m'« apprenne » quoi que ce soit, je ne veux pas voir de l'art « accompli ». Je m'intéresse à ce qu'on appelle le vernaculaire »
— Walker Evans, Le Secret de la photographie. Entretien avec Leslie Katz, Éditions du Centre Pompidou, 2017, p. 35.
Walker Evans est l'un des photographes américains les plus marquants du XXe siècle. Son portrait de l'Amérique pendant la Grande Dépression, son « style documentaire » et sa fascination pour la culture populaire américaine ont marqué des générations de photographes et d'artistes.
Les nombreuses expositions et publications qui lui ont été consacrées ont souvent présenté son œuvre de manière chronologique et ont mis l'accent sur de grands ensembles : les photographies qu'il réalise lors de son séjour à Cuba en 1933, celles produites pour le gouvernement dans le cadre de la Farm Security Administration, son projet de documentation de la vie de famille de métayers en Alabama, ou les portfolios publiés dans le magazine Fortune. Dans la plupart de ces travaux, le photographe tend à respecter une apparente objectivité, qu'il obtient par l'utilisation de cadrages frontaux et de lumières naturelles, et en adoptant le principe de sérialité[7]. Le choix et la perfection de ce « style » ont eu une importance fondamentale dans l'évolution de la photographie documentaire. Nombreux sont ceux — de Jeff Wall à Dan Graham — qui ont également fait vivre et développé cette tradition forgée par Evans dans le champ de l'art contemporain[8].
Une observation attentive de ses images, de toutes premières réalisations dans les années 1920, jusqu'à ses derniers Polaroid, révèle en effet une fascination pour les objets utilitaires, domestiques et locaux[9]. Cet attrait pour les formes et les pratiques populaires naît très tôt chez Evans, qui commence, dès son adolescence, à collectionner les cartes postales. Plus de 10 000 pièces, qu'il a rassemblées jusqu'à la fin de sa vie, sont aujourd'hui conservées au Metropolitan Museum of Art, à New York. D'autres objets du quotidien — plaques émaillées, affichettes, publicités — produits en masses, figurent également dans sa collection personnelle.
L'attirance d'Evans pour le vernaculaire se remarque, avant tout, dans le choix des sujets : architecture victorienne, baraques de bords de routes, devantures de magasins, affiches de cinéma, pancartes, enseignes... Les visages et les corps des gens modestes, victimes de la Grande Dépression ou simples passants anonymes, peuplent également son iconographie du populaire. Ce qui constitue le « typiquement » américain, c'est aussi le revers du progrès, soit cet autre visage de la modernité. Pendant les années 1930 en particulier, la ruine et le déchet font partie intégrante du paysage américain. Evans traque toutes leurs occurrences : détritus industriels, débris d’architecture, carcasses d'automobiles, maisons en bois décrépies.
Evans ne collectionne pas uniquement les formes du vernaculaire. Il en adopte également les modes opératoires, et en particulier ceux de la photographie appliquée, tout en revendiquant une démarche créative. Posté, appareil à la main, au croisement de deux rues ou dans le métro, il réalise le portrait de plusieurs dizaines de citadins, déclenchant son obturateur avec le même automatisme qu'une cabine de Photomaton. Tel un photographe de cartes postales ou d'architecture, il établit, avec un systématisme surprenant, un répertoire d'églises, de portes, de monuments ou d'artères principales de petites villes américaines. De même, sculptures, chaises en fer forgé, ou simples outils de bricolage semblent avoir été sélectionnés pour leur qualité unique d'objet, par un Evans photographe de catalogues. La répétitivité, l'apparente objectivité et l'absence d'emphase de toutes ces images sont caractéristiques des photographies produites à la commande.
« Je m'aperçois que dans mon travail, pendant un temps, je ne m'intéresse qu'à un certain type de visage ou un certain type de personne. On commence à sélectionner les gens avec l'appareil photographique. C'est compulsif et on a du mal à s'arrêter. Je pense que tous les artistes sont des collectionneurs d'images. »
Le , il part à Paris pour treize mois. Il suit les cours à la Sorbonne et au collège de la Guilde[6]. Il prend quelques instantanés avec un appareil petit format. Il se rend dans le Sud de la France pendant l'été 1926 et en , et visite l'Italie en avril.
1928
En mars, il emménage avec le peintre Hanns Skolle[10] dans un appartement de Colunbia Heights (Brooklyn).
Publication dans Hound & Horn de deux photographies, puis de l'article « The Reappearance of Photography », qui témoigne de sa très bonne connaissance de la photographie moderne européenne[12]. Au printemps-été, il accompagne Kirstein et John Brooks Wheelwright(en), historien de l'architecture, dans la région de Boston : il y photographie des bâtiments d'architecture vernaculaire victoriens.
1932
Il est engagé de janvier à avril comme photographe à bord du Cressida, voilier loué par un groupe de rentiers, lors d'une croisière dans le Pacifique. Exposition « Photographs by Walker Evans and George Platt Lynes », galerie de Julien Levy, New York.
1933
En mai, il se rend à La Havane afin de réaliser un portfolio pour l'ouvrage de Carleton Beals(en), The Crime of Cuba. À la fin de l'année, le Museum of Modern Art présente l'exposition « Walker Evans. Potographs of nineteenth-century houses »[13].
L’écrivain James Agee, à qui le magazine Fortune vient de commander un article sur les métayers du Sud, lui propose de l'accompagner. Ils passent l'été dans le Comté de Hale (Alabama), où ils partagent la vie de trois familles : les Fields, les Tingle et les Burroughs[16]. L'article est refusé. Au cours des années suivantes, Agee travaille au manuscrit d'un ouvrage sur ce sujet, qui sera publié en 1941, avec un portfolio de 31 photographies d'Evans (Let Us Now Praise Famous Men / Louons maintenant les grands hommes), devenant un repère du journalisme social.
1937
Le , Roy Stryker, à la tête de la FSA, envoie Evans en Arkansas et dans le Tennessee, régions sinistrées à la suite d'importantes inondations. Cette commande est le dernier travail du photographe pour la FSA ; le , il est remercié. Beaumont Newhall inclut six photographies d'Evans dans l'exposition « Photography, 1839-1937 » (MoMA)[17].
1938
Du au , le MoMA présente « Walker Evans, American Photographs », première exposition monographique majeur consacrée par ce musée à un photographe[18]. Pendant l'hiver, il prend des photographies dans le Métro de New York. Il poursuivra ce projet durant l'hiver 1940-1941. Dans les années 1950 et 1960, il retravaillera ces négatifs et réalisera différents tirages, en variant les cadrages.
En mai, il publie dans Fortune, « Main Street Looking North from Courthouse Square »[21]. Ce portfolio est constitué de reproductions en couleur de cartes postales de sa collection et d'un texte, le premier qu'il signe dans ce magazine.
Rétrospective « Walker Evans » organisée par John Szarkowski, au MoMA. La Yale University Art Gallery présente de à l'exposition « Walker Evans : Forty Years », conçue par le photographe qui inclut des objets de sa collection.
Il commence à se servir d'appareil petit format Polaroid SX-70. Ces « Polaroids », qui comprennent beaucoup de portraits d'intimes, seront son dernier travail.
↑ abc et dÉlisabeth Couturier, « Walker Evans, une vision américaine », Paris Match, semaine du 18 au 23 mai 2017, page 30 disponible sur Internet. Consulté le 21 mars 2022.
↑ a et bUniversity of London Institute in Paris (Institut de l'Université de Londres à Paris, abrégé en ULIP) est un collège délocalisé de l'Université de Londres à Paris.
↑ a et bUne série, comme l'indique l'encyclopédie Universalis, est un ensemble d’œuvres composées dans un même esprit qui a une certaine continuité.
↑Walker Evans, L'exposition, Centre Pompidou, p. 4.
↑Clément Chéroux, L'art de l'oxymore. Le style vernaculaire de Walker Evans, cf. C. Chéroux, Walker Evans, cat. expo., Éditions du Centre Pompidou, 2017, p. 9.
↑Hanns Skolle (américaine, né en Allemagne, 1903-1988) [1]. Metropolitan Museum of Art.
↑Esprits Nomades : Walker Evans, La vie en face, ou la photographie comme exigence du réel [16].
↑Claire Guillot, « Walker Evans, photographe de l’anti-art, au Centre Pompidou », Le Monde, (lire en ligne).
Annexes
Bibliographie
L'œuvre (chronologie)
(en) Walker Evans et Lincoln Kirstein, American photographs [75th anniv.], The Museum of Modern Art, (1re éd. 1938 (New York : The Museum of Modern Art, (196 p.) : ill., couv. ill. ; 23 cm)), 208 p., 23 cm. (ISBN978-0-87070-835-0, lire en ligne). Nouvelle édition traduite : (en) Walker Evans, Lincoln Kirstein et Sarah Hermanson Meister (Collaboratrice), Museum of modern art (New York, N.Y.) (trad. de l'anglais), Photographies américaines : [Édition du 75e anniversaire], Milan, 5 Continents, , 206 p., 23 cm. (ISBN978-88-7439-631-3).
(en) Walker Evans et Jeff L. Rosenheim, Walker Evans : Polaroids, Zurich etc. : Scalo, New York : Metropolitan Museum of Art 1st ed., 2002 et 2006, 136 p. (ISBN978-3-908247-43-2 et 3-908247-43-8)
Walker Evans (entretien avec Leslie Katz) et édition établie par Anne Bertrand (trad. de l'anglais), Walter Evans : le secret de la photographie, Paris, Éditions du Centre Pompidou, , 47 p. (ISBN978-2-84426-767-2).
Essais
Clément Chéroux (dir.), Walker Evans : [exposition, Paris, Centre Pompidou, Galerie 2, 26 avril-14 août 2017, San Francisco, San Francisco museum of modern art, 23 septembre 2017-4 février 2018], Paris, Centre Pompidou, , 319 p., 24,4 × 28,7 × 3,4 cm. (ISBN978-2-84426-765-8).
Yves Le Fur, Walker Evans : Photographies [exposition, Paris, Pavillon des Sessions, antenne du Musée du quai Branly au Musée du Louvre, 30 octobre 2007-13 janvier 2008], Paris, Musée du quai Branly, , 63 p. (ISBN978-2-915133-65-3 et 2-915133-65-4).
New York Public Library : Walker Evans, Farm Security Administration Photographs. ( La bibliothèque publique de New York met en ligne 180.000 images libres de droit et incite à leur réutilisation créative. )