Guglielmo Libri Carucci dalla SommajaGuglielmo Libri Carucci dalla Sommaja Le comte Libri (vers 1850), lithographie d'Alexis Nicolas Noël, imprimerie Lemercier.
Guglielmo Brutus Icilius Timeleone Libri-Carucci dalla Sommaja, dit en français Guillaume Libri ou le comte Libri, né le à Florence et mort le à Fiesole, est un mathématicien, historien et bibliophile italien ayant enseigné en France où il s'est rendu célèbre pour être l'auteur de vol de manuscrits originaux et de livres rares venant des collections publiques françaises. JeunesseSon père, le comte Libri Bagnano, s'était réfugié en France, mais il sera condamné en 1816 par la cour d’assises du Rhône à dix ans de travaux forcés et à la flétrissure, pour faux (en effets de commerce). Il avait encouru, par la suite de son évasion, de nouvelles condamnations le [note 1], avant de devenir en Belgique, l’agent secret du roi des Pays-Bas Guillaume Ier, de 1826 à 1830. Aristocrate florentin titré comte, comme son père, Guillaume Libri fréquente la faculté de droit de Pise à partir de 1816, et devient docteur en droit en 1820, mais se tourne rapidement vers les mathématiques. Il se fait remarquer dès ce moment par Charles Babbage, Augustin-Louis Cauchy et Carl Friedrich Gauss, par la publication d'une « Théorie des nombres », puis en 1823, par la publication d'un « Mémoire sur divers points d’analyse ». À 20 ans, il est déjà professeur de physique mathématique à l'université de Pise. Il délaisse l'enseignement, et part l'année suivante en année sabbatique pour Paris, où il fréquente quelques-unes des sommités mathématiques du moment. De retour en Italie, il est compromis avec les Carbonari de Toscane, et doit s'exiler en France, où il est naturalisé français le . Le contexte françaisSon nom aristocratique et sa fortune lui ouvrent bien des portes. Mathématicien, il est élu correspondant de l'Académie des sciences, le , (section de géométrie), puis élu membre de l'Académie, le , (section de géométrie)[1]. Son amitié avec l'astronome et physicien François Arago, (secrétaire de l'Académie des sciences), lui permet d'obtenir certains postes prestigieux. En décembre 1834, après la mort de Legendre, il est nommé professeur-adjoint à la Faculté des sciences de Paris, responsable d'un cours de calcul des probabilités. Sa relation avec Arago tourne cependant au vinaigre en 1835. Ils deviennent des ennemis jurés et certaines réunions à l'Académie deviennent alors houleuses. Grâce à son amitié avec Guizot, il devient, en 1838, membre du bureau du Journal des savants. Il est nommé chevalier de la Légion d'honneur en 1838[2]. À la Faculté des sciences de Paris, il devient professeur titulaire de chaire en 1839. Il entre en 1843 au Collège de France comme titulaire de la chaire de mathématiques, évinçant Augustin Louis Cauchy et Jean-Marie Duhamel. Entre 1838 et 1841, il publie une « Histoire des sciences mathématiques en Italie de la Renaissance au XVIIe siècle », avec pour sources originales quelque 1 800 pièces manuscrites, lettres et livres de Galilée, Fermat et Descartes, qu'il dit avoir acquises au gré de ventes publiques. Il s'avérera plus tard que ces documents ont été dérobés à la bibliothèque Laurentienne. Bibliomane, il possédait également le livre d'heures de Laurent le Magnifique. Il se querelle à l'Académie des sciences, en 1843, avec son confrère mathématicien Joseph Liouville[note 2], à propos des travaux mathématiques inédits d'Évariste Galois[3],[4]. La patrie d'adoption de Libri ouvre de nouveaux horizons à sa passion de bibliophile. Les préfectures des départements avaient hérité, sur ordre du Comité de salut public, des livres confisqués chez les aristocrates et les dignitaires de l'Ancien Régime, livres qui n'avaient pas été détruits lors des pillages de la Révolution française. Ces bibliothèques, mal connues, confiées depuis 1804 à la gestion des villes, disposaient rarement en 1840 d'inventaires complets ou d'un conservateur attitré. Elles étaient souvent peu ouvertes et réservées à un public restreint de notables, de « sociétés de savants » ou de personnes recommandées (souvent des étrangers)[5]. Travaux mathématiquesLibri fit publier à ses frais, six mémoires de mathématiques en 1829 à Florence en un très petit nombre d'exemplaires[6]. Ces exemplaires difficilement trouvables furent par la suite réédités par le mathématicien allemand August Leopold Crelle, éditeur et fondateur du Journal für die reine und angewandte Mathematik, en différents volumes. En 1835, Crelle fit publier un volume compilant dix mémoires de Libri : les six mémoires qu'il avait précédemment publiés dans son journal, auxquels s'ajoutent quatre inédits que Libri lui fournit. Ces mémoires portent les titres suivants :
Entre 1838 et 1841, Guillaume Libri publia quatre volumes intitulés Histoire des sciences mathématiques en Italie, depuis la renaissance des lettres jusqu'à la fin du dix-septième siècle et qui lui valent d'être encore connu pour autre chose que ses vols : Tome 1 Texte en ligne,Tome 2 Texte en ligne,Tome 3 Texte en ligne,Tome 4 Texte en ligne. Il traitera en particulier des travaux sur les nombres du mathématicien italien Léonard de Pise (« Leonardo Pisano »), plus connu sous le nom de Leonardo Fibonacci. Il n'a jamais porté ce nom, qui lui a été attribué de manière posthume par Libri. La Suite de Fibonacci s'exprime ainsi : tout nombre (à partir du troisième) est égal à la somme des deux précédents, par exemple : 0, 1, 1, 2, 3, 5, 8, 13, 21, 34 etc. Dans la suite (infinie) de Fibonacci, on peut déduire les nombres, par la règle de construction, par propagation, sans avoir besoin de les mémoriser (exemple de processus récursif)[7]. Vol de livresEn 1841, Libri, connu pour son érudition et sa connaissance de l'histoire des livres, parvient à se faire nommer secrétaire de la Commission du Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France. Abusant de ses fonctions et feignant une mauvaise santé (toussotant, vêtu d'une grande cape par tous les temps, il exigeait de se retrouver seul dans les archives des bibliothèques), il parcourt le pays et, un « emprunt » en entraînant un autre, il complète petit à petit sa collection de livres rares et d'autographes. Grâce à la confiance aveugle du chanoine Hyacinthe Olivier-Vitalis, il s'empare à la bibliothèque Inguimbertine de Carpentras de nombreux documents tels que les « Œuvres de Théocrite et d'Hésiode » (Venise, Alde, 1495), 72 des 75 lettres de Descartes au Père Mersenne (entre 1837 et 1847). Il n'hésitait pas parfois à mutiler certains manuscrits : cinq volumes du fonds Peiresc et au moins deux mille feuillets disparurent ainsi. La Bibliothèque Royale n'est pas épargnée, ni celle de L'Arsenal. La chuteLes déclarations de vols (dès 1842) n'attirent l'attention des autorités qu'au bout de plusieurs années. En 1846, deux dénonciations (anonymes et sous le pseudonyme d'Henri de Baisne) parviennent au procureur du roi, concernant en particulier les vols de livres à la bibliothèque Inguimbertine de Carpentras[8]. Un rapport secret fut rédigé en 1847 par Félix Boucly, procureur du roi, et déposé sur le bureau du ministre des Affaires étrangères, François Guizot : on estimait alors à 500 000 francs la valeur des objets soustraits par Libri depuis 1842. Mais Guizot avait affaires plus pressantes à gérer : la révolution grondait, laquelle en éclatant priva Libri de tous ses appuis. Le le procureur général, résuma les griefs contre Libri, dans un long rapport adressé au Garde des sceaux, Michel Hébert. Le gouvernement arrêta le document et il fallut, pour qu’il vît le jour, attendre la chute de la monarchie de juillet le . Peu de temps après, Libri est informé par un rédacteur du journal Le National, qu'un mandat d'arrêt à son encontre est sur le point d'être délivré sur des soupçons de vol de livres précieux, en lui faisant passer un billet portant ces simples mots : « Vous ignorez sans doute la découverte qui a été faite du rapport judiciaire concernant vos inspections dans les bibliothèques publiques. Croyez-moi, épargnez à la société nouvelle des réactions qui lui répugnent. Ne venez plus à l’Institut. ». Libri n'a pas attendu d'être arrêté, il s'enfuit à Londres, le , avec la complicité de son collègue de la commission des Monuments historiques, Prosper Mérimée. Avant de fuir la France, il s'est cependant arrangé pour que 30 000 de ses livres et manuscrits contenus dans 18 malles lui soient envoyés en Angleterre. Six seulement de ces malles seront confisquées par la douane. Il obtient à Londres, sous prétexte d'être un réfugié politique de la Révolution française, la protection d'un compatriote italien, Antonio Panizzi, directeur de la Bibliothèque du British Museum (Libri obtiendra la nationalité anglaise à la fin de sa vie). Le scandale éclate finalement sous la Deuxième République, quand le rapport Boucly est publié dans Le Moniteur du : une enquête minutieuse est alors diligentée. Lors d'une perquisition effectuée le , dans son logement à la Sorbonne, on retrouve quelques liasses, restituées ultérieurement à la bibliothèque Inguimbertine de Carpentras, une partie de la correspondance de l'astronome polonais Johannes Hevelius, soustraite par Libri à la bibliothèque de l'Observatoire[9]. Les documents retrouvés par les enquêteurs ont fait l'objet d'une étude approfondie pendant 3 ans par les chartistes Henri Léonard Bordier, Ludovic Lalanne et Félix Bourquelot[10]. Libri intente un procès contre le gérant du Moniteur universel à l'occasion de la publication du rapport l'incriminant, et contre le gérant du National, en raison de l'article publié le [11]. Libri est condamné par contumace à Paris le à dix années de réclusion[12], à la dégradation nationale et à la perte de ses emplois publics. À la demande de l'Académie des sciences, en date du , le siège de Libri, absent de France depuis le , est déclaré vacant par un décret en date du . À Londres, le médiéviste Achille Jubinal, essaiera de défendre la réputation de Guillaume Libri, dans une lettre adressée, le , au journal littéraire londonien, l'Athenaeum[13]. Ludovic Lalanne et Henri Bordier rédigent même en 1851 un « Dictionnaire de pièces autographes volées aux bibliothèques publiques de France » sur plus de 316 pages Texte en ligne. Ultérieurement, les archives de Bordier révèlent l'aspect policier et secret des enquêtes préliminaires destinées à confondre Libri, un grand personnage officiel honoré et protégé par les plus hautes autorités (livre paru en 2008, d'André Jammes : Libri vaincu : enquêtes policières et secrets bibliographiques : documents inédits). Prosper Mérimée, ami et protecteur de Libri, conteste la décision judiciaire avec une telle énergie, en attaquant « la chose jugée » dans un article dans la Revue des deux Mondes du [14], qu'il est lui-même poursuivi pour outrage public et condamné à son tour à 1 000 francs d'amende et à quinze jours de prison, qu'il effectuera à la Conciergerie[15],[16]. Bien que Libri fût arrivé en Angleterre sans argent, il n'était pas pauvre pour autant, car sa nouvelle richesse provenait de la vente de nombreux livres précieux et de manuscrits expédiés préalablement à Londres avant son exil forcé. Dès 1847, Libri avait conclu en grand secret, par l’entremise de son ami Antonio Panizzi, et sur les conseils de John Holmes (1800-1854), un conservateur adjoint des manuscrits du British Museum, la vente de ses manuscrits au quatrième comte d'Ashburnham[17], sans en justifier la provenance, pour 200 000 francs. Les manuscrits arrivèrent à Ashburnham Place (en), dans le Sussex, le , (auparavant, Libri avait tenté de les vendre au British Museum)[18],[19]. À partir du et suivants, il organise une vente de livres rares, à Paris, qui lui rapporte 116 000 francs[20]. En 1861, à Londres, Libri organise deux grandes ventes de ses livres et manuscrits, en produisant un catalogue de 7 628 lots, vendus en deux parties. La première vente à partir du pendant 12 jours, et la seconde à partir du pendant 8 jours. En fait, il obtient plus d'un million de francs par les ventes de documents, manuscrits, et livres, et ce à un moment où le salaire journalier moyen d'un ouvrier était d'environ quatre francs. En 1862, à Londres, il organise une autre vente pour la partie la plus précieuse de sa collection, chez Sotheby & Co, le pendant 3 jours, avec la publication d'un catalogue de 143 pages[21]. En 1868, la santé de Libri commence à décliner, et incapable de retourner en France, il quitte l'Angleterre pour son Italie natale, habitant une villa de Fiesole en Toscane, où il décède le . Sa sépulture se trouve au Cimetière des Portes Saintes, à Florence. En 1896, le mathématicien Joseph Bertrand, très critique envers Libri, écrira dans les : « Souvenirs académiques, un article anonyme de la Revue des deux Mondes », recueil de la politique, de l’administration et des mœurs, Volume 137, Tome 4, (Septembre-), (pages 277-295), en page 279 : « Libri, très jeune alors, pouvait devenir un géomètre. Il a cessé d’étudier, non de produire. Pour ne pas se laisser oublier, comme on en donne souvent le conseil, il écrivit des mémoires insignifiants d’abord, puis mauvais, et enfin ridicules. »[22]. La restitution partielle des documents volésAprès la mort d'Ashburnham en 1878, Léopold Delisle, administrateur de la Bibliothèque nationale, a commencé une longue enquête pour régler la question de savoir si Libri était coupable des accusations pour lesquelles il avait été condamné en 1850, et il a démontré avec une certitude absolue que Libri était en effet un voleur de grande envergure, le tout dans un rapport daté du , adressé à Jules Ferry, ministre de l'Instruction Publique et des Beaux-Arts[23]. Dès 1878, la bibliothèque nationale, puis en 1888 le gouvernement français entamèrent des négociations avec son héritier et les autorités anglaises, afin que les livres et manuscrits précieux, volés en France par Libri, puissent être restitués ; tandis que le British Museum acquérait en 1883 pour la British Library la collection Stowes de 996 numéros, essentiellement britanniques, l'un des quatre fonds de la collection Ashburnam[note 3].
Outre les volumes et feuillets précités soustraits à des volumes, Libri, qui avait été chargé en 1841 de la rédaction du catalogue collectif des bibliothèques publiques de France, vola également un grand nombre des 7000 lettres et papiers, notamment scientifiques et de personnages célèbres, répertoriés en 1851 par messieurs Lud, Lalanne et H. Bordier, comme dérobés depuis l'apparition du marché des autographes dans les années 1820, notamment dans les bibliothèques de l'Institut de France (Académie des Sciences), de l'Observatoire de Paris, de la Bibliothèque Mazarine, de la Bibliothèque Inguimbertine de Carpentras, de la bibliothèque nationale et de celle du Louvre attenante au palais des Tuileries, etc, et qu'il revendit ensuite, sans être inquiété, lors de plusieurs vente à Paris puis à Londres[30].
FamilleIl avait épousé Mélanie Jeanne Charlotte Double, fille du docteur François-Joseph Double, fondateur de l'Académie royale de médecine, et sœur du baron Joseph-Louis-Léopold Double[44]. Elle décèdera en 1865 sans être parvenue à obtenir la révision du procès de son mari, malgré le soutien de Mérimée, qui dénoncera des irrégularités de procédure concernant la citation à comparaître et la publication de l'acte d'accusation[45], puis la pétition qu'elle lancera et présentera au Sénat[46] (mai 1861). Elle sera inhumée à Paris, au cimetière du Père-Lachaise (5e division). Notes et référencesNotes
Références
Bibliographie
Prix Médicis essai
Au sujet de ce livre, voir l'article de Bertrand Galimard Flavigny, « Libri vaincu » dans Les Petites Affiches du 10 février 2009.
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