C'est en 1952 qu'elle débute dans la chanson au Milord l'Arsouille en interprétant notamment L'Île Saint-Louis, sur une musique de Léo Ferré et des paroles de Ferré et Francis Claude, ce dernier n'est autre que son mari et le directeur dudit cabaret. Elle obtient ensuite le Grand prix de la chanson française de Deauville avec Tu voulais. En 1956, elle représente le Luxembourg au premier Concours Eurovision de la chanson avec les deux titres (selon le règlement de l'époque) Ne crois pas (de Christian Guitreau) et Les Amants de minuit (paroles de Jacques Lasry/Pierre Lambry et musique de Simone Laurencin[3]).
En 1957, elle est devenue la vedette permanente du Milord l'Arsouille. Dans son tour de chant, elle est accompagnée au piano par Jacques Lasry et, à la guitare, par un certain Serge Gainsbourg qui est, le reste du temps, pianiste d'ambiance dans ce cabaret.
Elle découvre par hasard et avec stupéfaction que ce Gainsbourg a déjà écrit plusieurs chansons que personne n'interprète, comme le relate François Ducray[4] :
« Chez Milord l'Arsouille, club BCBG de la rive droite, on n'a pas pour habitude de défier le pouvoir. La clientèle y est bourgeoise, mais discrètement non conformiste. […] C'est une sorte de salon dont l'égérie est elle-même un gage de bon goût : Michèle Arnaud. Une silhouette sculpturale à la Edwige Feuillère, la souplesse et la sensualité mutine d'une Danielle Darrieux. […] Une perfection rocheuse dotée d'une voix sans aspérité et d'un sens exquis de l'amitié. Elle a décelé en ce Serge gauche et nerveux un talent hors pair. Ses audaces d'écriture lui paraissent naturelles, comme on dit des mœurs d'un sauvage. Pour la très intelligente et sophistiquée Michèle Arnaud, Gainsbourg est un être rare, une trouvaille sans prix, alliant une brutalité de prédateur à une sensibilité d'exception. L'hybride stendhalien rêvé. Pas question, donc, d'en retrancher ces aspects mal embouchés qui font partie intégrante de sa virtuelle monstrueuse personnalité. […] Michèle Arnaud y devine un des visages majeurs de l'avenir. C'est elle qui découvre, sous une pile de partitions accommodantes, l'ébauche du Poinçonneur et les timides premières moutures de La Femme des uns sous le corps des autres ou de Ronsard 58. Pour l'aider à se faire connaître et à prendre confiance, elle les joint à son répertoire et les enregistre à sa manière de duchesse sainte nitouche. Dans le Landerneau des chansonniers, l'effet est immédiat. Marraine d'autorité, Michèle Arnaud recrute ainsi le parrain Canetti. […] Gainsbourg ne vend guère ses propres versions, mais voilà l'auteur lancé, et l'homme repéré. »
C'est sous son impulsion et celle de Francis Claude que Gainsbourg monte immédiatement sur la scène du Milord pour chanter ses compositions. Elle est également sa première interprète féminine[5] en enregistrant, dès l'année suivante, plusieurs de ses œuvres : La Recette de l'amour fou, Douze belles dans la peau (également chantée par Simone Bartel à cette époque) en janvier 1958, et Jeunes femmes et vieux messieurs, La Femme des uns sous le corps des autres en octobre 1958.
La vocation de Michèle Arnaud est d'interpréter des œuvres d'auteurs comme Ferré ou Vian tout en révélant de nouveaux talents comme Gainsbourg. Peut-être à cause de ses exigences et en dépit de s'être produite dans des music-halls populaires, que ce soit en vedette américaine à l'Olympia en 1959, ou en tête d'affiche à Bobino en 1961, Michèle Arnaud a toujours conservé l'étiquette d'« intellectuelle de la chanson ».
On devine un esprit littéraire curieux et insatiable, privilégiant, de ce fait, le texte. Mais elle peut « craquer » pour la mélodie. Ainsi, son subtil sens artistique ne la fait pas hésiter à reprendre les œuvres de compositeurs qu’elle pressent être des « grands » de son siècle : Yesterday (Je croyais) de Lennon/McCartney, The Green Leaves of Summer (Le Bleu de l’été) de Dimitri Tiomkin ou encore Samba de Uma Nota Só (Chanson sur une seule note) d’Antônio Carlos Jobim. Sans oublier celles de son auteur-compositeur fétiche Serge Gainsbourg (qu'elle révéla et ne cessa de « couver » tout au long de sa carrière ; réciproquement, il lui voua son inébranlable fidélité d’auteur) dont elle reprend Ne dis rien[6],[7] (de la comédie musicale Anna qu’elle produisit courageusement) et avec lequel elle chante en duo Les Papillons noirs[8],[7] (deux titres orchestrés avec une surprenante débauche de guitares électriques).
Elle s’empare parfois de textes d’auteurs peu connus (Robert Ardray) ne serait-ce que pour jubiler en fustigeant, par exemple, les nantis du côté de Neuilly-Auteuil-Passy lorsqu’elle joue (plus vraie que nature) à la grande bourgeoise désabusée qui confie ses « soucis » à son coiffeur Angelo :
Angelo, vite mon coup de peigne,
Je vais être en retard à l'opéra,
Je vais entendre La Callas ce soir,
Oh ! Je déteste l'opéra, mais que voulez-vous,
Les places sont si chères,
On ne peut pas ne pas y aller…
Trublion, voire anarchiste, elle se délecte avec les textes de Boris Vian et de Maurice Vidalin engageant les filles à se faire radeuses au bois plutôt que de se marier ou son contraire, jeter leurs jupes par-dessus les moulins mais seulement après s’être « rangées », être devenues de respectables « femmes d’imbéciles » (Ne vous mariez pas les filles, Julie).
Elle fait appel à Gaby Verlor pour mettre en musique des textes de Jean-Loup Dabadie (La maison, Je te regarde), de N. Bressy (Cherbourg, Cetemps), ou de Robert Desnos (Si tu savais).
Parallèlement et infatigablement, elle explore la chanson dans tous états : poétique, cinématographique, théâtral et littéraire (Hadjidákis, Apollinaire, Varda, Giraudoux, Dimey, Aymé). On comprend qu’elle n’ait pas touché un public populaire, à défaut de public tout court, en le déroutant incessamment. Elle demeure l’interprète inclassable dont la priorité était sûrement de dénicher coûte que coûte des auteurs novateurs tant que son nom de chanteuse pouvait les soutenir, plus que de faire une carrière dans la chanson, car un chanteur inconnu n’a guère de possibilités pour promouvoir ses auteurs. On le comprend d’autant mieux quand on voit comment elle a insensiblement glissé vers la production télévisuelle en lançant réalisateurs originaux et émissions décapantes, dépoussiérant la télévision de papa comme elle a dépoussiéré la chanson des années 1950. En 1972, toujours avant-gardiste, elle se lance dans la coproduction européenne avec le film musical Pink Floyd: Live at Pompeii. Plus que « l’intellectuelle de la chanson », le qualitatif qui lui conviendrait mieux serait « l’intelligence de la chanson » comme en témoigne Françoise Hardy[9] :
« Michèle Arnaud, une chanteuse d’une intelligence supérieure qui impressionnait les auteurs-compositeurs les plus talentueux de son époque, s’était reconvertie dans la production d’émissions de télévision. Elle me donna carte blanche pour inviter qui je voulais dans le cadre d’une émission qui ne serait jamais diffusée[10]. »
Une intellectuelle créative
Arnaud, dénicheuse de talents à la scène, lance également des artistes comme Guy Béart ou les duettistes Noiret et Darras.
Elle a l'idée de créer une scène qui irait au-devant du public en se déplaçant partout en France et cela devient, en 1964, sous le parrainage de Brassens et Brel, « Le Music-hall de France » qui se joint aux pérégrinations des Tréteaux de France de Jean Danet.
Voisine de campagne de Georges Pompidou à Orvilliers (Yvelines), le président de la République appuie sa carrière de productrice[11]. Innovatrice, elle produit à la télévision des émissions d'un ton nouveau telles que Les Raisins verts en 1963 puis Tilt magazine à partir de 1966, émissions qui marqueront leurs époques et révéleront des réalisateurs comme Jean-Christophe Averty ou des présentateurs comme Michel Drucker qui témoigne ainsi : « 1965. J'étais animateur d'une émission produite par Michèle Arnaud, une grande professionnelle qui a, entre autres, découvert Serge Gainsbourg[12]. »
C'est elle encore qui, avec Pierre Bourgoin, produit la première comédie musicale à la télévision française, Anna, œuvre de son auteur fétiche, Serge Gainsbourg (1967).
Artiste et littéraire
Plus tard, Michèle Arnaud trouve sa vraie dimension en se spécialisant dans la production de documentaires artistiques comme Les Tendances de l'Art au XXe siècle ainsi que des portraits littéraires (Maurice Clavel, Jean Dutourd, Jean d'Ormesson). Avec sa propre société de production, elle réalise ensuite un film sur Henry Miller d'une portée internationale.
Naissance de la mondovision : pour la première fois, le , des émissions télévisées européennes sont transmises aux États-Unis par Telstar 1, premier satellite de télécommunications. C'est Michèle Arnaud qui apparaît dans le programme français enregistré tandis que la télévision anglaise transmet son programme en direct[13].
Discographie
Compilations
1996 : Gainsbourg chanté par… (2 CD EMI Music 854067-2)
Intégrale des chansons de Serge Gainsbourg interprétées par Michèle Arnaud sur le CD 1 (réédition en juin 2006)
↑Extraits de son ouvrage : Gainsbourg, Paris, Librio, coll. « Musique » (no 264), , 96 p. (ISBN2-277-30264-3).
↑Hugues Aufray revendique d'être le premier chanteur à avoir interprété du Gainsbourg en reprenant notamment Le Poinçonneur des Lilas et Mes p'tites odalisques (Les Odalisques) vraisemblablement dans les cabarets ou à la radio (voir l'article Hugues Aufray et sa biographie sur Evene.fr), mais son premier 45 tours est sorti en mars 1959, tandis que Michèle Arnaud a enregistré La Recette de l'amour fou et Douze belles dans la peau en janvier 1958, suivi par la sortie contiguë de son 45 tours, après avoir créé ces chansons sur les scènes du Milord l'Arsouille et de Bobino (en février 1958). Sources : Serge Gainsbourg : L'Intégrale et Cætera, d'Yves-Ferdinand Bouvier et Serge Vincendet (Éditions Bartillat, 2005) et livret de la compilation double CD Gainsbourg chanté par… (EMI Music, 1996).
↑Françoise Hardy ajoute une note à ce sujet : « Pierre Koralnik avait réalisé cette émission dont le fil conducteur était une romance entre le chanteur allemand Udo Jürgens et moi. Elle fut interdite d’antenne le jour prévu pour sa diffusion, à cause d’une scène de lit pourtant très pudique… » (courant 1967, note de l’éditeur).
↑Et non : Douze balles dans la peau, titre erroné dans cette compilation. Voir dans le répertoire Sacem : Douze belles dans la peau
↑Michèle Arnaud est la première interprète de cette chanson qu'elle enregistre en janvier 1958, éditée sur le 45 toursEP Ducretet-Thomson réf. 460V373 (paru en 1958). Serge Gainsbourg grave cette chanson cinq mois plus tard (au mois de juin) sur son 33 tours 25 cm Du chant à la une ! qui paraît en septembre 1958. Sources : compilation Gainsbourg chanté par… (double CD EMI Music paru en 1996) et Serge Gainsbourg : L'intégrale et Cætera, intégrale des textes de chansons établie par Yves-Ferdinand Bouvier et Serge Vincendet (Éditions Bartillat, 2005).