La permutatio ou permutation de 1173 est une transaction conclue entre l'archevêque de Lyon Guichard de Pontigny et le comte de Forez Guigues II de Forez. Elle clôt plus d'un siècle de conflit entre les archevêques de Lyon et les comtes laïcs de Lyon pour le pouvoir sur le Lyonnais, qui reste dans les mains de l'archevêque, en organisant l'échange (permutation) de terres entre les deux protagonistes. Une bulle du pape Alexandre III confirma la permutation en 1174[1].
Dès 1156, l'empereur du Saint-EmpireFrédéric Barberousse, qui avait épousé l'unique héritière des comtes de Bourgogne Béatrice Ire, entreprit une reprise en main de l'ancien royaume bourguignon et s'appuyant sur les antagonismes locaux[2]. Depuis le début du XIe siècle, les comtes de Lyon et de Forez (héritiers du titre de comtes de Lyon depuis Artaud II de Forez) étaient en conflit chronique avec les archevêques de Lyon pour les droits féodaux sur le chapitre installé sur la rive occidentale de la Saône. En 1157, l'empereur trancha opportunément pour l'archevêque en délivrant à Héracle de Montboissier une bulle d'or qui lui accordait la souveraineté totale sur la ville et la partie du Lyonnais situé à l'Est de la Saône, instituant ainsi la ville en seigneurie épiscopale dépendant du Saint-Empire romain germanique, évinçant explicitement toute ingérence du comte dans les affaires de la cité par la formule : « Que nul comte ou juge ne s'avise de faire la loi sur ces terres, sinon l'archevêque et primat de Lyon ».
Durant l'été 1158, le comte Géraud Ier de Mâcon et l'archevêque Héracle de Montboissier, appuyés dans leur entreprise par le chancelier impérial Rainald von Dassel, tentèrent de marcher contre Guigues II de Forez, ami du roi Louis VII, en s'en prenant en particulier à la clef de voûte du système défensif du comte, la forteresse d'Yzeron, sur la route de Lyon à Montbrison[3], Guigues II fut victorieux et prit Lyon en mars 1162[4].
En pleine crise du schisme pontifical l'ensemble de la région se retrouva entrainée dans le conflit entre le pape et l'empereur[5] :
Le parti de l'antipape Victor comptait ainsi dans ses rangs le comte Géraud Ier[6] (parent de l'empereur), l'archevêque Héracle de Montboissier et une partie du chapitre lyonnais.
Alexandre III apporta son soutien au comte de Forez et, réfugié en France en 1162, appela à la paix[7]. Il parvint à rallier à sa cause une partie des chanoines lyonnais. Il prit la défense de Cluny () et obtint l'appui de l'ensemble des établissements religieux du Mâconnais. Les partisans du pape ne furent ensuite rejoints que tardivement par Humbert III de Beaujeu.
Ainsi sous la pression des partisans du pape, le successeur de Héracle de Montboissier élu par le chapitre en 1163, Dreux de Beauvoir, proche de l'antipape Victor IV ne fut jamais consacré par le pape Alexandre III. Ce fut finalement Guichard de Pontigny imposé par le pape et Louis VII[8],[9] qui lui succéda en 1165 comme archevêque, mettant ainsi fin à la crise.
Première transaction en 1167
En 1167, un premier accord, conduit par l'archevêque Pierre II de Tarentaise, annula la bulle d'or impériale et rétablit les anciens droits du comte sur la ville de Lyon. La transaction traduit le retour de l'influence française et papale sur la ville[10].
La paix revenue après la soumission de Gérard de Mâcon à Vézelay en 1172, Louis VII ne désirait probablement pas que le conflit chronique dégénère à nouveau en guerre contre le Saint-Empire[1]. Il imposa (vraisemblablement sous l'influence du pape Alexandre III et des cisterciens) un nouvel accord disposant de la vente des terres lyonnaises et des anciens droits du comte de Forez contre onze cents marcs d'argent et de la rétrocession des biens temporels de l'Église de Lyon en Forez. Le traité, qui prit la forme d'une permutation (permutatio), fut conclu en 1173.
Contenu de la Permutation de 1173
Par cet acte, le comte de Forez renonça à la majeure partie de ses droits sur le Lyonnais qui releva dès lors de la juridiction temporelle de l'archevêque. L'Église de Lyon abandonna ses possessions temporelles dans la vallée de la Loire (tout en gardant son pouvoir spirituel sur le Forez qui restait alors dans le diocèse de Lyon). Le comte gardait l'ensemble des places-fortes contrôlant la grande route du Puy mais prêtait hommage pour une partie d'entre elles. Afin, sans doute, d'éviter une éventuelle reprise future du conflit, les deux parties s'engageaient à une « démilitarisation » de l'actuelle région stéphanoise.
D'une part, l'archevêque et l'Église de Lyon cèdent au comte tout ce qu'ils possédaient[11] :
le territoire du Roannais, au-delà et « autant que le domaine des Seigneurs du Roannais s'étend, l'Église ne pourra ni acquérir de place forte, ni en fortifier aucune, à moins de la remettre au Comte » ;
que l'Église verse onze cents marcs d'argent au comte.
Effet
Le pape Alexandre III adressa une bulle (3 ou 5 juin 1175)[14] aux archevêques de Vienne et de Clermont leur enjoignant de prévenir le comte qu'il encourait l'excommunication en cas de reprise des hostilités[15][source insuffisante].
Le payement de la somme de onze cents marcs d'argent par l'Église de Lyon se révéla problématique et cette dernière dut engager ses terres du Monts d'Or et fournir trente quatre otages aux abbés de Savigny et l'Ile-Barbe afin qu'ils se portent garants du payement de la somme[16][source insuffisante].
La somme permit à Guigues II de Forez de racheter les seigneuries de Forez et de s'assurer 10 à 12 000 livres viennois de rente annuelle (une fortune par rapport à celle du roi) qui lui garantissait désormais une vraie stature de « seigneur féodal »[17].
Le successeur de Guichard, Jean Belles-mains, fut tout autant soucieux d'éviter un retour du comte que de réduire le rôle des chanoines du chapitre qui avaient joué un rôle central dans le conflit. Il obtint de Frédéric Barberousse une confirmation de la bulle d'or en 1187 confortant le rôle prédominant de l'archevêque au détriment des chanoines. De même, l'accord sur la vacance des évêchés de Lyon et d'Autun accordé par Philippe II Auguste évinçait définitivement le chapitre en cas d'intérim[23]. Jean introduisit dans les statuts du chapitre une nouvelle clause : le serment de respecter les termes de la permutation, préparant probablement l'arrivée de son successeur.
En effet, en 1193, ce fut finalement le fils du comte Guigues II de Forez, Renaud de Forez qui devint archevêque de Lyon. Cette accession (peut-être organisée en même temps que la permutation) confirma le retour de l'influence française sur la région. À la mort en 1203 de son frère Guigues III de Forez, il exerça alors conjointement la fonction épiscopale et la régence du Forez.
↑Lettre de Gui II, comte de Lyon et de Forez (ap. 1136 et av. 1158 –1206), à Louis VII, roi des Francs (1137–1180) au sujet de l'entrée de ce dernier en Auvergne, puis à propos de l'agression perpétrée par le comte Gérard Ier, comte de Vienne et de Mâcon (1157–1184), et les schismatiques visant à le dépouiller et à remettre son comté, dépendant de la Couronne, à l'Empereur germanique, Lire en ligne.
↑[Tijet 2011] Jean-Jacques Tijet, Les batailles près de Lyon, , 22 p., slideshare.net (lire en ligne), « XIIe siècle », p. 5.
↑Epistola Alexandri papæ III, ad Humbertum de Belloioco et ad Forensem et Matisconensem Comites aliosque nobiles viros, qua gratulatur de pace jurata inter eos et Cluniacensem ecclesiam, atque indulgentias concedit.Cart. de Cluny, no 4214.
↑« C'est une lettre de Thomas Becket à Louis VII qui nous l'apprend ». Voir M. Rubelin, Église et société chrétienne d'Agobard à Valdès, PUL, 2003, p. 485.
↑[Brial 1878] Michel-jean-Joseph Brial, Recueil des historiens des Gaules et de la France, t. 15 (originellement éd. par Dom Martin Bouquet ; nouvelle éd. dirigée par Léopold Delisle), Paris, éd. Victor Palmé, , 1030 p., Gallica (lire en ligne), p. 950, bulle CCCLXXXI : Ad Viennensem archiepiscopum et Claromontensem episcopum[à vérifier]. - Ut sub excommunicationis compellant Guigonem comitem Forensem ad observandam transactionem a papa confirmatam inter ipsum et Lugdunensem ecclesiam. (Ferentini, Maio-Iun).
↑[Neufbourg 1954] Guy de Neufbourg, « Puissance relative du comte et des seigneurs en Forez au XIIIe siècle » (séance du 17 septembre 1954), Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, t. 98, no 3, , p. 342-344 (lire en ligne [persee], consulté en ).
↑Recueils de mémoires et documents sur le Forez publiés par la société de la Diana, vol. 8, Saint-Étienne, 1874, p. 72-73.
↑Charte de sauvegarde perpétuelle octroyée et de plusieurs donations faites à l'abbaye de Valbenoîte, de l'ordre de Citeaux, en Forez, aussitôt après sa fondation par le comte Guigues II de Forez et son fils Guigues III, en présence et sous le sceau de Jean Belles-mains, archevêque de Lyon (1184)- Tirée des archives de ladite abbaye et communiquée par Arnoul du Rozier, premier et plus ancien conseiller au bailliage de Forez. Voir [Testenoire-Lafayette 1902] Claude-Philippe Testenoire-Lafayette (ill. Félix Thiollier), Histoire de Saint-Étienne des origines à la Révolution, Saint-Étienne, impr. Théolier, , 282 p. (BNF42352464, présentation en ligne), p. 251.
[*][Testenoire-Lafayette 1893] Claude-Philippe Testenoire-Lafayette, Histoire de l'abbaye de Valbenoite de l'ordre de Cîteaux, à Saint-Étienne de Furan en Forez (1184–1791), Saint-Étienne, impr. Théolier & Cie, , 218 p., books.google.fr (lire en ligne), p. 17.
↑« Abbaye de Valbenoîte, 1184 », Chronologie de Valbenoîte proposée par le musée du diocèse de Lyon, sur museedudiocesedelyon.com (consulté en ).
↑[Galland 1989] Bruno Galland, « Le rôle politique d'un chapitre cathédral : l'exercice de la juridiction séculière à Lyon, XIIe – XIVe siècles », Revue d'histoire de l'Église de France, t. 75, no 195, , p. 273-296 (lire en ligne [Persée (portail)], consulté en ).
[Dufour 1946] Jean-Étienne Dufour et Marguerite Gonon (tables des formes anciennes et des matières), Dictionnaire topographique du Forez et des paroisses du Lyonnais et du Beaujolais formant le département de la Loire, Mâcon, impr. Protat frères, (réimpr. 2006), LI-1186 p. (OCLC406721067, BNF34198540, présentation en ligne), (notice Bml n° 154886-42).
[Galland 1994] Bruno Galland, Deux archevêchés entre la France et l'Empire : les archevêques de Lyon et les archevêques de Vienne, du milieu du XIIe siècle au milieu du XIVe siècle, Paris, De Boccard, , 848 p. (ISBN978-2-7283-0299-4, BNF03038701).