Victor de Broglie (1785-1870)
Victor de Broglie ([viktɔʁ də bʁɔj, - bʁœj]), prince puis, dès 1804, 3e duc de Broglie, né à Paris le [1] et mort le à Paris 7e[2], est un homme d'État français, président du Conseil sous la monarchie de Juillet. BiographieEnfance et débuts dans la diplomatieFils de Victor de Broglie (1756-1794), prince de Broglie, il a neuf ans lorsque son père est décapité durant la Terreur. Sa mère, Sophie de Rosen-Kleinroop (1764-1828), est alors incarcérée à Vesoul, mais réussit à s'évader grâce à l'aide d'un serviteur et passe en Suisse avec ses enfants, revenant en France après le 9 thermidor. En 1796, elle se remarie avec le marquis d'Argenson, qui est un opposant à Napoléon Ier puis, comme député libéral, à la Restauration et à la monarchie de Juillet. Il se charge de l'éducation du jeune homme, lui conserve la terre de Broglie, le fait exempter de la conscription sous l'Empire et lui inculque des idées libérales. Il obtient pour lui une nomination comme auditeur au Conseil d'État (1809) ; Victor de Broglie est ensuite intendant en Illyrie puis attaché aux ambassades de Varsovie (1812) puis de Vienne. Parlementaire sous la RestaurationSecrétaire du comte de Narbonne au congrès de Prague (1813), Broglie est remarqué par Talleyrand qui, de concert avec son oncle, Amédée de Broglie, le fait nommer dans la première promotion des pairs de la Première Restauration (). Lors du procès du maréchal Ney, il vient à peine d'atteindre l'âge de 30 ans, requis pour prendre part aux délibérations de la Chambre des Pairs; il revendique ce droit au moment du jugement et est un des dix-sept pairs qui votent pour la déportation, et non pour la mort. Revenu en France à la fin de 1816, il entre dans l'opposition active à la majorité de la « Chambre introuvable », dominée par les ultras. À la Chambre des Pairs, il combat les lois d'exception, notamment la « loi d'amnistie » (), défend la liberté de la presse (), parle en faveur de l'abolition de l'esclavage () et contre la contrainte par corps (), et vote cependant la loi électorale de 1820. Il est le rapporteur du projet de loi relatif à la répression des crimes et délits commis par la voie de la presse ou par tout autre moyen de publication (). Membre de la Société « Aide-toi, le ciel t'aidera » et de la Société des Amis de la liberté de la presse, président de la Société de la morale chrétienne (1825-1828), il est alors suspect au gouvernement qui le fait surveiller[3]. Après avoir fait la connaissance de François Guizot en 1817[4], il se lie avec le groupe des Doctrinaires : Pierre-Paul Royer-Collard, Prosper de Barante, Charles de Rémusat. Il prend alors ses distances avec la Gauche, dont les velléités révolutionnaires et le sectarisme l’inquiètent, et considère les institutions anglaises comme le modèle des institutions politiques. La monarchie de JuilletLes débuts du nouveau régime (1830-1832)Bien qu'il n'ait pris aucune part aux intrigues qui aboutissent à la chute de Charles X, le duc de Broglie est un orléaniste « du jour même », ainsi qu'il l'a écrit dans ses Souvenirs[5], donc un chaud partisan de la Monarchie de juillet. Dès le 31 juillet 1830, il entre comme ministre de l'Intérieur et des Travaux publics dans le ministère nommé par la commission municipale de Paris. En revanche, il ne fait pas partie du ministère provisoire du 1er août, mais intègre, le 11 août, le premier ministère du règne de Louis-Philippe Ier en qualité de ministre de l'Instruction publique et des Cultes avec la présidence du Conseil d'État. Il s'affirme d'emblée comme partisan du rétablissement de l'ordre. Après la chute de ce ministère (), le duc de Broglie devient, à la Chambre des Pairs, un des orateurs les plus influents du parti de la résistance, avec Casimir Perier et ses amis doctrinaires comme Guizot, et, par conséquent, l'adversaire de Jacques Laffitte et de son gouvernement. Il vote notamment pour le maintien de l'hérédité de la pairie et s'oppose vainement, au début de 1832, à l'abrogation de la loi de 1816 qui avait instauré une cérémonie expiatoire le 21 janvier pour l'anniversaire de la mort de Louis XVI. Ministre des Affaires étrangères (1832-1834)Lorsque les Doctrinaires arrivent au pouvoir le , il prend le portefeuille de ministre des Affaires étrangères, formant avec Guizot et Thiers une sorte de triumvirat que Louis-Philippe nomme avec rancœur un « Casimir-Périer en trois personnes ». Il aura pour chef de cabinet jusqu'en 1836, Ximénès Doudan. Dans cette fonction, il fait voter l'emprunt grec mais entre assez vite en conflit avec Louis-Philippe, qui considère la diplomatie comme son domaine réservé et souhaite un ministre à ses ordres, alors que le duc de Broglie, à qui le roi reprochait « sa raideur hautaine », veut diriger pleinement son département. Broglie se trouve également en butte à l'hostilité irréductible de Talleyrand, ambassadeur à Londres, et de Molé, conseiller officieux mais écouté du Roi : tous deux se vengent ainsi du mépris qu'il leur porte ouvertement, mépris qu'il étend d'ailleurs à la plupart des anciens serviteurs de l'Empire. Enfin, des divergences de fond apparaissent concernant la politique vis-à-vis de l'Angleterre : Louis-Philippe, qui trouve que l'Angleterre se comporte avec la France de manière cavalière et souhaite se trouver d'autres alliés en Europe, ce qui faciliterait le mariage du duc d'Orléans, veut se rapprocher de la Prusse et de l'Autriche, tandis que Broglie, en dépit des inconvénients de l'alliance nouée avec l'Angleterre depuis 1830, préconise le strict maintien de cette politique. Comme Louis-Philippe est accusé par l'opposition de s'abaisser devant la Sainte-Alliance (notamment sur la question polonaise), par pleutrerie et pour se faire pardonner l'origine de sa couronne, il n'est pas question pour de Broglie de provoquer une rupture sur ce sujet. Aussi attendit-il qu'un tout autre incident vienne justifier sa démission. En mai 1831, un accord avait été conclu avec les États-Unis, et concrétisé par un traité en juillet, allouant une indemnité de 25 millions à ce pays en réparation des dommages causés par les corsaires français durant les guerres napoléoniennes. La ratification de ce traité vint en discussion devant le Parlement au début de 1834. L'affaire ne semblait soulever aucune difficulté, La Fayette, favorable au traité, apportant les voix d'une bonne partie de la Gauche. Le projet fut toutefois vivement attaqué à la fois par le républicain Mauguin et par le légitimiste Berryer, et Broglie, connaissant mal le dossier, ne soutint que médiocrement la discussion parlementaire. Lors du vote à bulletins secrets, le 31 mars, la Chambre des députés, à la surprise générale, repousse la ratification par 176 voix contre 168, ce qui implique qu'une partie des députés de la Majorité ont voté contre le projet. En conséquence, Broglie démissionne dès le , ainsi que le maréchal Sébastiani, négociateur du traité. Président du Conseil (1835-1836)Le , après la chute du ministère Mortier, les députés, aiguillonnés par Guizot et Thiers[6], veulent l'imposer à Louis-Philippe puisque c'est précisément celui que le Roi craignait le plus : ainsi, pensent-ils, l'autonomie du ministère serait-elle garantie. Le Roi, après avoir longtemps hésité, doit se résoudre à l'« avaler pour ne pas tomber dans le radicalisme »[7] et l'appelle à former un gouvernement, dans lequel Broglie, président du Conseil, détiendrait le portefeuille des Affaires étrangères. Peu tenté par l'exercice effectif du pouvoir, le Duc fait d'abord des difficultés pour accepter, mais quand il finit par céder, exige et obtient la reconduction des marges de manœuvre qui avaient été accordées à Casimir-Périer, c'est-à-dire, pour l'essentiel, la possibilité de convoquer des conseils de cabinet hors de la présence du Roi. Il parvient, le 21 avril, à faire voter l'indemnité allouée aux États-Unis mais se voit reprocher une certaine pusillanimité face à des propos blessants contenus, à ce sujet, dans un message du président Jackson. Il conclut avec le Royaume-Uni la convention relative à la répression de la traite négrière, dans laquelle est consacré le droit de visite des navires, souvent reproché à la monarchie de Juillet comme une concession excessive. Le Cabinet tombe le à deux voix de majorité sur la question de la conversion des rentes (V. Gouvernement Victor de Broglie). La Chambre des Députés prend prétexte d'une réponse de Broglie à l'interpellation d'un parlementaire, réponse jugée insultante pour l'assemblée. Broglie s'empresse de porter sa démission au Roi. Comme l’a observé un contemporain, « il ne manquait au duc de Broglie, pour se faire pardonner sa haute position aristocratique, son irréprochable probité, son désintéressement, son talent, que l’art de ménager les amours-propres, et il ne l’a jamais eu[8]. » Paul Thureau-Dangin note également, dans le même sens : « Ne s’inquiétant pas assez de plaire, il était trop porté à croire qu’il lui suffisait d’avoir raison, et encore, dans sa manière d’avoir raison, y avait-il quelque chose d’inflexible, de cassant et de hautain[9]. »
Membre de la chambre des PairsBroglie est élevé à la dignité de Grand-Croix de la Légion d'honneur le . Après son retrait du gouvernement, il continue à siéger à la Chambre des pairs jusqu'à la Révolution de février 1848. Dans les dernières années du règne de Louis-Philippe, il évolue vers le « centre-gauche » modéré, se rapprochant des positions de Thiers et d'Odilon Barrot. Pressenti à de nombreuses reprises pour devenir ministre, il refuse systématiquement, se contenant d'apporter ponctuellement son soutien à son ami Guizot. La Deuxième République et le Second EmpireBroglie laisse passer la Révolution de 1848 et ne se présente qu'aux élections à l'Assemblée Législative. Il est élu dans le département de l'Eure le [11]. Il est alors membre du comité électoral de la rue de Poitiers. Au Palais Bourbon, il devient le chef de la Droite et compte parmi les « Burgraves[12]». En juillet 1851, il dépose une proposition de révision de la Constitution qui, n'ayant réuni que 446 voix contre 278, ne peut pas être adoptée, faute d'atteindre le chiffre des deux tiers fixé par la Constitution. Après le coup d'État du 2 décembre 1851, il se retire de la vie politique. Il rédige plusieurs essais politiques, notamment ses Vues sur le gouvernement de la France (1870), qui sont la référence politique de son fils, Albert de Broglie, et inspirent les lois constitutionnelles de 1875. Membre de l'AcadémieMembre libre de l'Académie des sciences morales et politiques en 1833, il en devient membre titulaire en 1866. Lors de son discours d'admission, il dénonça le coup d'État du 2 décembre 1851[13]. Il est élu le au 24e fauteuil de l'Académie française, où il succède au comte de Sainte-Aulaire. Il est reçu par Désiré Nisard le [14] et forme à l'Académie le « parti des ducs » avec Pasquier et Noailles. Engagement pour l'abolition de la traite et de l'esclavageIl s'intéresse très tôt au sort des esclaves :
DécorationsŒuvresLe duc de Broglie a laissé trois volumes de ses Écrits et Discours parmi lesquels on peut noter :
Il a été l'éditeur des Mémoires posthumes de sa belle-mère, Madame de Staël (1818) ; édition 1861, Paris, Charpentier, 483 pages, lire en ligne. PortraitGérard a réalisé son portrait (château de Broglie en 1966). Citations
Mariage et descendanceLe à Livourne[17], il épouse Albertine Ida Gustavine de Staël-Holstein (1797-1838), fille de Eric Magnus de Staël Holstein, ambassadeur de Suède en France, et de Germaine Necker, Madame de Staël[18]. Elle est la petite-fille de l'ancien banquier et ministre de Louis XVI, Jacques Necker. Tous deux ont quatre enfants :
Notes et références
Bibliographie
LiensArticles connexesLiens externes
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