Viol de la Belgique« Viol de la Belgique » est le terme utilisé pour décrire le traitement des civils belges durant l’invasion et l’occupation allemande de la Belgique durant la Première Guerre mondiale. Tout d’abord utilisé dans un but de propagande, ce terme a pu correspondre à une réalité confirmée par l’historiographie[1]. L'historien Larry Zuckerman l’utilise plus étroitement pour décrire la série de crimes de guerre allemands dans les premiers mois de la guerre allant du à [2]. La neutralité du royaume belge avait été garantie par le traité de Londres signé en 1839 par la Prusse, mais la mise en œuvre du plan Schlieffen (plan d'invasion de la France) nécessitait que les forces armées allemandes traversassent la Belgique. Les Allemands avaient donc intégré à leur stratégie le viol de la neutralité de la Belgique et le chancelier allemand Theobald von Bethmann Hollweg avait même témoigné de son dédain à l'égard du traité de Londres en le qualifiant, devant l’ambassadeur britannique Edward Goschen, de « chiffon de papier »[3]. Tout au long du début de la guerre, l’armée allemande a commis de nombreuses atrocités contre la population civile de la Belgique et détruit des biens civils : six-mille Belges ont été tués directement, dix-sept-mille-sept-cents sont morts expulsés, déportés, emprisonnés ou condamnés à mort par un tribunal[4]. Vingt-cinq-mille maisons et autres bâtiments ont été détruits dans huit-cent-trente-sept communautés rien qu’en 1914, un million et demi de Belges (20 % de la population totale) a dû fuir devant l’invasion allemande[5]:13. Les crimes de guerreIl existe, dans certains endroits, à Dinant pour la mise à sac de la ville, mais également à Liège, Andenne et Louvain, des preuves de violence préméditée contre les civils[5]:573-4, où l’armée allemande croyait les habitants aussi dangereux que les soldats français eux-mêmes[6],[7]. Par peur des francs-tireurs belges, les troupes allemandes ont incendié des maisons et exécuté des civils dans tout l’est et le centre de la Belgique, y compris à Aarschot (cent-cinquante-six morts), Andenne (deux-cent-onze morts), Seilles (trois-cent-huitante-trois morts) et Dinant (six-cent-septante-quatre morts)[8]. Des femmes et des enfants parfois très jeunes figuraient au nombre des victimes[9]. Les 21, 22 et , lors du massacre de Tamines, l’armée allemande assassine, à coups de baïonnette, de gourdin et de hache, six-cent-treize habitants}, avant de se livrer au pillage systématique de la ville. Le , l’armée allemande ravage la ville de Louvain et met le feu à sa bibliothèque universitaire riche de 230 000 livres, 800 incunables et 950 manuscrits[10]. Deux-cent-quarante-huit habitants sont tués[11] et la totalité de sa population de dix-mille habitants expulsée. Les maisons civiles sont incendiées et les victimes souvent abattues sur place[12]. Plus de deux-mille bâtiments sont détruits et, durant la seule année de 1914, de grandes quantités de matériaux stratégiques, des denrées alimentaires et d’équipement industriel moderne sont pillés et transférés en Allemagne. Il y a même également plusieurs incidents de tirs entre groupes de soldats allemands pendant la confusion[7]. Ces actions sont condamnées dans le monde entier[13]. Dans l’ensemble, les Allemands sont responsables de la mort de vingt-trois-mille-sept-cents civils belges : six-mille tués sur place, dix-sept-mille-sept-cents au cours de l’expulsion, expulsés, détenus ou condamnés à mort par la justice ; dix-mille personnes se retrouvent en situation d'invalidité permanents et vingt-deux-mille-sept-cents en invalidités temporaire. Les exactions allemandes font de dix-huit-mille-deux-cent-nonante-six enfants des orphelins de guerre. Les pertes militaires belges sont de vingt-six-mille-trois-cent-trente-huit tués, morts de blessures ou d’accidents et quatorze-mille-vingt-neuf morts de maladie ou disparus[4]. Dans le Brabant, des religieuses sont contraintes par les Allemands de se déshabiller au prétexte qu’elles seraient des espions ou des hommes déguisés. Dans et autour de Aarschot, entre le et la reconquête de la ville le , les femmes sont leurs victimes à maintes reprises. Même s’il est moins visible, le viol est presque aussi répandu que l’assassinat, l’incendie et le pillage[5]:164-5. La propagande de guerreL’historienne Nicoletta Gullace écrit, en accord avec l’analyse de l’historienne Susan Kingsley Kent, que « l’invasion de la Belgique, avec sa très réelle souffrance, a néanmoins été représentée d’une manière très stylisée qui a insisté sur les actes sexuels pervers, les mutilations sinistres, et les récits atroces de sévices commis sur des enfants d’une véracité souvent douteuse[14]:19. » De nombreuses publicités patriotiques ont propagé ces histoires en Grande-Bretagne. Par exemple, l’écrivain populaire William Le Queux a décrit l’armée allemande comme « un vaste gang de Jack l'Éventreur », et décrit en détail des évènements affreux comme une gouvernante pendue nue et mutilée, un bébé passé à la baïonnette, ou les « cris des femmes mourantes », violées et « horriblement mutilées » par des soldats allemands accusés de couper les mains, les pieds ou les seins de leurs victimes[14]:18-19. Gullace fait valoir que « les propagandistes britanniques désiraient passer aussi rapidement que possible d’une explication de la guerre par l’assassinat d’un archiduc autrichien et de sa femme par un nationaliste serbe à la question morale sans ambiguïté de l’invasion de la Belgique neutre ». À l’appui de sa thèse, elle cite deux lettres de Lord Bryce. Dans la première lettre, ce dernier écrit : « Il faut qu’il y ait quelque chose de fatalement mauvais dans notre soi-disant civilisation pour qu’une calamité si affreuse soit tombée sur toute l’Europe pour cette cause serbe ». Dans une autre lettre, il poursuit : « La seule chose qui puisse nous réconforter dans cette guerre est que nous sommes tous absolument convaincus, une fois Belgique envahie, de la justesse de la cause et de notre devoir de prendre les armes[14]:20 ». Bien que la tristement célèbre expression allemande de « chiffon de papier » ait galvanisé une grande partie des intellectuels britanniques en faveur de la guerre[14]:21-22, cette imagerie eut moins d’impact dans les milieux plus populaires. Les recruteurs de l’armée britannique ont signalé des problèmes pour expliquer les origines de la guerre en termes légalistes[14]:23. Par exemple, après avoir pris connaissance de ces faits, le politicien travailliste Ramsay MacDonald a déclaré que « Nous n’avons jamais armé notre peuple et demandé de donner sa vie pour une cause moins bonne que celle-là ». Au fur et à mesure de l’avance allemande en Belgique, les journaux britanniques ont commencé à publier des histoires sur les atrocités allemandes. La presse britannique, « de qualité » et même les tabloïds, ont ignoré l’« inventaire sans fin des biens volés et des marchandises réquisitionnées » qui constituait l’essentiel des rapports officiels belges au profit des récits de viols et de mutilations scabreuses qui ont submergé ses pages. Le discours intellectuel sur le « chiffon de papier » a ensuite été associé à une représentation plus scabreuse représentant la Belgique comme une femme brutalisée, illustrée par les dessins animés de Louis Raemaekers[14]:24, dont les œuvres ont été largement reproduites et distribuées aux États-Unis[15]. Une partie de la presse, comme l’éditeur de The Times et Edward Tyas Cook, inquiets de voir des histoires improbables affaiblir une puissante représentation, réclamèrent que la relation d’histoires dont certaines s’étaient avérées être de pures affabulations, soit plus structurée. La véracité de nombreuses histoires ayant été remise en question par les presses allemande et américaine, le fait que le British Press Bureau n’ait pas censuré les histoires a mis le gouvernement britannique dans une position délicate. En , James Bryce, connu pour son attitude pro-allemande avant-guerre, fut mis à la tête d’un comité pour enquêter sur la véracité de ces faits[14]:26-28. Le choix de ce dernier fut considéré comme judicieux en raison de ses compétences juridiques ainsi que de la bonne réputation dont il jouissait aux États-Unis où il avait été ambassadeur de Grande-Bretagne[14].:30. Les efforts de la commission d’enquête, dont le rapport parut en en , se limitèrent toutefois aux témoignages précédemment recueillis. Gullace fait valoir que « la commission fut en substance appelée à mener un simulacre d’enquête destiné à remplacer le nom manquant des milliers de victimes anonymes, dont l’histoire figurait dans les pages du rapport par le renom de Lord Bryce ». Charles Masterman, directeur du War Propaganda Bureau (en), écrivit à Bryce : « L’Amérique a « craqué » pour votre rapport. Comme vous le savez sans doute, même les plus sceptiques se déclarent convertis, juste parce qu’il porte votre signature[14]:30 ! » Traduit en dix langues dès le mois de , ce rapport a servi de base à une grande propagande de guerre ultérieure et utilisé comme document de référence par de nombreuses autres publications, en veillant à ce que les atrocités deviennent un leitmotiv de la propagande de guerre jusqu’à la campagne finale du « Pendez le Kaiser »[14]:31-23. En 1917, Arnold J. Toynbee a publié The German Terror in Belgium[16] qui insistait sur les récits les plus atroces de dépravations sexuelles allemandes « authentiques », telles que : « Sur la place du marché de Gembloux une estafette belge a vu le corps d'une femme nue aux seins coupés clouée à la porte d’une maison par une épée à travers la poitrine[15]:65. » En temps de guerre, une grande partie de l’édition britannique a été destinée à acquérir le soutien des Américains[15]:64. En 1929, un article dans The Nation affirmait : « En 1916, les Alliés mettaient en avant chaque histoire d’atrocité possible pour s’attirer la sympathie neutre et le soutien américain. On nous alimentait tous les jours […] avec des histoires d’enfants belges aux mains coupées, de soldat canadien crucifié sur une porte de la grange, d’infirmières aux seins coupés, d’habitude allemande de distiller la glycérine et la graisse de ses morts pour obtenir des lubrifiants, et tout le reste[15]:64. » L’historien Kimberly Jensen interprète l’imagerie de la quatrième obligation de guerre de 1918, qui employait une affiche intitulée « Rappelez-vous la Belgique » représentant la silhouette d’une jeune Belge trainée par un soldat allemand sur fond de village incendié, comme : « Ils sont seuls dans la nuit, et le viol semble imminent. Cette affiche montre que les dirigeants ont puisé dans la connaissance et les préconceptions de l’opinion publique américaine sur l’usage du viol par les Allemands pendant l’invasion de la Belgique »[17]. Dans son ouvrage Roosevelt and Hitler, Robert E. Herzstein déclare que « Les Allemands ne semblent pas avoir réussi à trouver le moyen de contrer la puissante propagande britannique sur le « viol de la Belgique » et autres atrocités[18] ». À propos des conséquences de la propagande, Gullace a commenté : « l’une des tragédies de l’effort britannique d’invention de la vérité est la façon dont les faux témoignages ont porté la suspicion sur les réelles souffrances[14]:32 ». RépercussionsÉtudes récentesDans les années 1920, les crimes de guerre d’ ont souvent été considérés comme de la propagande britannique. Or, ces dernières années[Quand ?], les chercheurs qui ont examiné les documents originaux ont constaté que des atrocités à grande échelle avaient bien été commises et que les affabulations étaient secondaires face à la vérité[5]:162. Il y a un débat entre ceux qui croient que le comportement de l’armée allemande est dû principalement à la paranoïa et ceux (dont Lipkes) qui mettent en avant des causes supplémentaires. Pour l'historien Larry Zuckerman, l’occupation allemande a outrepassé de loin les pouvoirs permis par le droit international aux autorités d’occupation. L’administration militaire allemande a eu la main très lourde dans la façon dont elle a réglementé tous les détails de la vie quotidienne, à la fois sur le plan personnel avec des restrictions sur le voyage et les punitions collectives et sur le plan économique en faisant profiter l’Allemagne de l’industrie belge et en imposant des indemnités massives et à répétition aux provinces belges[2]. Les Allemands ont si bien détruit l’économie belge, en démantelant ses industries pour transporter son matériel et ses machines en Allemagne, que la Belgique, qui était, avant guerre, la sixième plus grande économie au monde, n’a jamais retrouvé son niveau d’avant-guerre. Plus de cent-mille travailleurs belges ont été déportés de force pour participer à l’économie de guerre en Allemagne et construire des routes et d’autres installations militaires de l’armée allemande dans le Nord de la France[2]. Études historiquesLes études historiques approfondies sur ce sujet comprennent :
Horne et Kramer avancent de nombreuses explications : d’abord, mais pas uniquement, la peur collective de la guerre populaire :
Devoir de mémoireC'est seulement le que lors d’une cérémonie à Dinant, la ville la plus touchée par les exactions, le gouvernement allemand représenté par Walter Kolbow, secrétaire d'État de la Défense de la République fédérale d’Allemagne, présente 87 ans après les faits ses excuses officielles pour les atrocités commises, dépose une couronne et se prosterne devant le monument aux victimes[21]. Ce monument portet l’inscription suivante :
Walter Kolbow déclara dans son discours :
... ce à quoi les autorités communales répondirent qu'il ne leur appartenait pas d'accorder le pardon au nom des morts mais qu'elles saluaient ce rapprochement :
Un groupe de jeunes Belges et Allemands ont ensuite hissé le drapeau allemand sur le pont de Dinant[24] ; il était jusqu'à cette date le seul drapeau européen manquant alors que tous les autres pavoisaient le pont[25]. Notes et références
Ouvrages cités
BibliographieOuvrages
Périodiques
Articles connexesInformation related to Viol de la Belgique |