Communisme libertaireLe communisme libertaire, communisme anarchiste ou anarcho-communisme est une doctrine politique au croisement de deux autres :
Pour Carlo Cafiero, co-fondateur du communisme libertaire, le communisme est synonyme d'égalité et l'anarchisme de liberté, il refuse alors de les opposer et cherche au contraire à les combiner, car ils sont pour lui « les deux termes nécessaires et indivisibles de la Révolution »[5],[6],[7]. Le communisme libertaire originaire du socialisme libertaire, est proche du collectivisme libertaire, du municipalisme libertaire, de l'anarcho-syndicalisme et à certains égards du syndicalisme révolutionnaire et du conseillisme. HistoireAux originesLe mouvement anarchiste est depuis ses origines associé au mouvement communiste. En effet, ils ont des origines communes en étant tout deux issus du socialisme, en ayant les mêmes inspirations idéologiques d'émancipation — d'abord permise par la Révolution française, puis par les mouvements ouvriers du XIXe siècle — et un même but final, le renversement du capitalisme, l'abolition de l'État et la restitution de la richesse sociale aux travailleurs[4]. Les anarchistes socialistes comptent au XIXe siècle des personnalités comme Déjacque[8], Bakounine ou Cœurderoy. Le est fondée l'Association internationale des travailleurs (AIT), également connue sous le nom de Première Internationale, qui a pour objectif de coordonner le développement du mouvement ouvrier et qui réfléchis à des principes politiques de base comme l'administration des choses. Cependant, de nombreuses divergences existent entre les différentes tendances du socialisme en son sein : Les « mutuellistes » s'inspirant de Proudhon, les collectivistes s'inspirant de Michel Bakounine et les communistes s'inspirant notamment de Karl Marx. Ces divergences finissent par éclater à plusieurs reprises en conflit ouvert. Au congrès de Bâle en 1869, les partisans de Marx et de Bakounine, défendant la propriété collective, font bloc ensemble contre ceux de Proudhon, défendant plutôt une propriété individuelle. Puis au congrès de La Haye de 1872, Marx s'oppose à Bakounine sur la question du pouvoir octroyé au Conseil général de Londres, Marx voulant le centraliser alors que Bakounine appeler à le décentraliser. Marx réussit à exclure Bakounine et James Guillaume de la première Internationale par vote du congrès, ce qui malgré lui est un suicide de l'AIT, déjà affaiblie, menant à une division clair entre « marxistes » et « anarchistes » et entrainant une scission très importante[4]. À partir de ce moment-là, les partisans de Bakounine fondent une Internationale dite « antiautoritaire » au Congrès de Saint-Imier en 1872 : la Fédération jurassienne. Le mouvement anarchiste commence alors vraiment à se structurer et différentes tendances se développe en son sein, les unes étant plus ou moins complémentaires avec les autres. Il y a notamment les collectivistes libertaires (Bakounine...), les anarchistes individualistes (Stirner…), les anarcho-syndicalistes (Pouget…) et enfin les communistes libertaires (Errico Malatesta, Carlo Cafiero, Pierre Kropotkine, Élisée Reclus…). La recherche d'une synthèseL'association des termes « communisme libertaire » est revendiqué, par la Fédération italienne de l'Internationale anti-autoritaire de St-Imier (créée en 1872), au congrès de Florence de 1876 par Errico Malatesta et Carlo Cafiero[9]. Soit 19 ans après l’invention du terme « libertaire » et 36 ans après la mise en circulation de « communisme »[10]. Ce positionnement est pris en opposition au collectivisme libertaire, qui est à cette époque la position officielle de l'Internationale anti-autoritaire (avec l'influence de Bakounine) et ce à cause de la crainte qu'un centralisme économique puisse être amené par la théorie collectiviste[11]. Ils ne veulent ni rejeter le communisme — comme le faisaient Bakounine et Proudhon —, ni mépriser l’anarchisme — comme le faisaient Marx et Engels —, mais faire une synthèse, voir un dépassement en comblant leurs lacunes, de l'anarchisme et du communisme[4],[6]. Cafiero résume sa pensée en cette formule : « Nous voulons la liberté, c’est-à-dire l’anarchie, et l’égalité, c’est-à-dire le communisme. » Son anarchie pourfend trois ennemis (l’autorité, le pouvoir et l’État) et son communisme entend s’emparer des richesses « au nom de l’humanité »[12]. Quelques années plus tard en 1880, au congrès de La Chaux-de-Fonds de l'Internationale anti-autoritaire, Élisée Reclus définit le communisme libertaire comme la « conséquence nécessaire et inévitable de la révolution sociale » et « expression de la nouvelle civilisation qu’inaugurera cette révolution », et qui implique notamment « la disparition de toute forme étatiste » et « le collectivisme avec toutes ses conséquences logiques, non seulement au point de vue de l’appropriation collective des moyens de production, mais aussi de la jouissance et de la consommation collectives des produits » (Le Révolté, )[13]. Par la suite d'autres penseurs du communisme libertaire poseront leur pierre à l'édifice de cette synthèse, comme Pierre Kropotkine pour qui « l’anarchie mène au communisme, et le communisme à l’anarchie »[14], et qui affirme également, en 1913 dans La Science moderne et l’Anarchie, que le communisme dispose en lui de deux voies : l’oppression et la liberté, l’autoritarisme et l’anarchisme[6]. La mise en garde de Kropotkine semble au final s'être réalisé durant la révolution russe en 1917, où les bolcheviques, sous la direction de Lénine, se sont approprié le mot « communisme », avec une mise en pratique bien différente du communisme libertaire : un parti d’avant-garde, un État centralisateur et répressif, un productivisme de principe…[10] Pour les communistes libertaires, les États marxistes-léninistes n'ont rien de communiste et se rapprochent plus d'un collectivisme d'État, voire d'un capitalisme d'État, puisque pour eux le communisme est un mode d'organisation sans État. Les problèmes organisationnels et stratégiquesEn même temps que le reste du mouvement anarchiste, le communisme libertaire connaît de nombreuses réflexions, questions et évolution de ses modes d'organisations et de stratégies. Sa doctrine adopte à ses débuts une stratégie insurrectionnaliste. Elle est pratiqué en Italie par Errico Malatesta, Carlo Cafiero ou Saviero Merlino, qui en avril 1877 lance une insurrection dans le massif montagneux du Matese (dans la province de Bénévent), dans le but de provoquer un soulèvement dans cette région[15]. Même si ce fut un échec, des actes de propriété communales furent brûlés et le communisme libertaire proclamé pendant un temps. Dans les années 1880-1890, suite à l'échec des stratégies insurrectionnelles et propagandiste par le fait, c'est les stratégies de l'anarcho-syndicalisme et du syndicalisme révolutionnaire qui deviennent dominantes au près des communistes libertaires[16], un mode de militantisme proche de la conception gradualiste de Malatesta à la fois « syndicaliste et éducative […] fondée sur le primat pacifiste des solidarités vécues »[16] et de l'« l’évolutionnisme » d'Élisée Reclus[17]. Cette stratégie trouve son expression la plus aboutie sans doute au sein de la Confédération nationale du travail pendant la révolution sociale espagnole de 1936. Dans les années 1920 à la suite de la révolution russe — où pour la première fois dans l’histoire, les principes du communisme libertaire furent mis en application au sein d'une Ukraine libertaire[18] — un groupe de communiste libertaire exilés d'Ukraine et de Russie fuyant le régime bolchevique dresse un bilan critique afin de comprendre l'échec du mouvement libertaire durant cette révolution et élabore une nouvelle forme d'organisation. C'est ainsi qu'est publié, en 1926, la « Plate-forme organisationnelle de l’union générale des anarchistes » écrit par Archinov, Nestor Makhno, Ida Mett, Valesvsky et Linsky, appelant à la construction d'une grande organisation spécifiquement communiste libertaire, qui cherche selon Makhno à apprendre de « la leçon du passé », à «opposer ses forces vives aux ennemis de la révolution » et à sortir l’anarchisme des « limites étriquées d’une pensée marginale et revendiquée uniquement par quelques groupuscules aux actions isolées » afin de gagner les masses et d'« accomplir les tâche de l’anarchisme, non seulement lors de la préparation de la révolution sociale, mais également à ses lendemains »[19],[20]. D'autres communistes libertaires (dont Malatesta, Faure, Voline...) répondent négativement au nouveau modèle plate-formiste (lui trouvant des insuffisances théoriques pouvant permettre à une forme d'autoritarisme de s'installer au sein de son organisation). En opposition, est alors élaboré un contre modèle d'organisation, la synthèse anarchiste, qui cherche à rassembler toutes les différentes tendances de la tradition anarchiste : individualiste, anarcho-syndicaliste et socialiste-communiste[20]. Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, une nouvelle forme d'organisation proche du plateformisme se développe au sein du mouvement communiste libertaire sud américain : le spécifisme. On y retrouve la nécessité d’une organisation spécifiquement anarchiste unie théoriquement, dans le but d'y théoriser et développer un travail politique et d’organisation stratégique, afin de participer activement à des mouvements sociaux autonomes et populaires[21]. Idéologie
— Sébastien Faure, art. « Communisme », Encyclopédie anarchiste, vol. 1. Principes constitutifsOriginaire de l'Internationale antiautoritaire, les communistes libertaires ont comme premier principe majeur l’anti-autoritarisme. Dans la pratique cela détermine les modalités de lutte et les modes d'organisation prônés par les communistes libertaires[9] : assemblées générales, mandat impératif, fédéralisme, auto-organisation, autogestion... Leur second principe majeur est la reconnaissance de la lutte des classes. Induisant une importante implication des communistes libertaires dans les mouvements sociaux (grève, blocage, manif...) et dans les syndicats de lutte et/ou révolutionnaires[9]. MéthodeLes communistes libertaires sont des révolutionnaires, qui pensent que l'abolition du capitalisme et de l’État devra nécessairement passer par une révolution sociale surement violente afin d'aboutir au communisme[22]. Ils pensent que cette révolution doit être l'œuvre des masses elles-mêmes, de leur propre initiative et spontanéité, et rejettent toute avant garde ou chefs qui voudrait guider les masses[23]. Cette révolution est néanmoins comprise comme un processus, durant lequel le prolétariat prend de plus en plus conscience de lui même, se mobilise et s'organise en contre-pouvoir, afin de partir à la conquête de ses aspirations populaires immédiates par les mouvements sociaux, à travers des pratiques de lutte anti-autoritaire, jusqu'à se substituer à l'État lui même[22]. Malatesta parle alors de gradualisme révolutionnaire : « L'anarchisme, doit être nécessairement gradualiste. On peut concevoir l'anarchisme comme la perfection et c'est un bien que cette conception reste toujours présente à notre esprit tel un phare idéal qui guide nos pas. Mais il est évident que cet idéal ne peut être atteint d'un seul bond, en passant d'un seul coup de l'enfer actuel au paradis rêvé. »[5] Projet de sociétéLe but des communistes libertaires est l'établissement d'un nouvel ordre social juste et émancipateur (et non pas le « désordre » social), grâce à l'abolition conjointe du capitalisme et de l’État. Cette société communiste libertaire, décentralisée, fédérale, sans classe sociale, ni État, doit garantir à la fois l'égalité sociale et la liberté des individus[24]. L’État, considéré comme oppresseur par nature, est remplacé par une libre fédération de communes associées et par une démocratie directe fonctionnant de bas en haut avec des mandats impératifs, en opposition à la « démocratie représentative »[25],[26]. La police et l'armée cèderont leur place à une défense civile populaire contrôlée localement et démocratiquement par mandats révocables[24],[26]. L'économie capitaliste est remplacée par une économie communiste, où les moyens de production (les terres, les usines, les bureaux...) deviennent des biens communs gérés collectivement et où la production est gérée autogestionnairement par les travailleurs, organisés en associations ou en syndicats[25]. La planification de l'économie et de la production se fera démocratiquement par l'ensemble de la fédération, afin de produire pour les besoins humains et dans le respect de l'environnement, plutôt que pour la course au profit[26],[24],[27]. Par extension, les communistes libertaires proposent de substituer à la propriété privée la « possession individuelle », ne garantissant aucun droit concernant l'accumulation des biens « non utilisés »[3]. Les liens entre communisme libertaire et communisme marxisteCommunisme libertaire et communisme marxiste ont cohabité au sein de la Première Internationale. Des liens entre les deux ce sont alors fait très tôt, comme lorsque Carlo Cafiero publie en 1879 son Abrégé du Capital de Karl Marx, afin de faire une synthèse didactique permettant au plus grand nombres d'avoir accès au texte de Karl Marx[12]. Le communisme libertaire a en commun avec le communisme marxiste la critique du mode de production capitaliste qu'ils considèrent tous deux devoir être aboli par la révolution prolétarienne pour aboutir à une société communiste, c'est-à-dire une société sans classe sociale et sans État. Le communisme libertaire se distingue du communisme marxiste dans la méthode à suivre pour parvenir à cette fin. Le communisme libertaire refuse la centralisation économique et politique et prône l'abolition immédiate de l’État pour son remplacement par une organisation sociale fédérale reposant sur la libre association et limitant fortement le pouvoir des représentants politiques par le mandat impératif. Pour Marx, la société communiste se devait d'être le point d'aboutissement du processus révolutionnaire, mais contrairement aux anarchistes, il considérait qu'elle ne pouvait être atteinte directement. D'après lui, il faut en passer par la médiation d'une dictature du prolétariat suivie d'une extinction progressive du pouvoir étatique. L'héritage de Marx est contrasté en la matière. Mais à la suite de la révolution d'Octobre, avec la prise de pouvoirs des bolcheviks en Russie et la création de l'Internationale communiste, le léninisme devient la version dominante du marxisme. Une doctrine qui, loin de l'idée d'une extinction progressive du pouvoir étatique, renforça le pouvoir de l'État en Russie. Malgré ça, différentes tentatives de synthèse ou de prélèvement entre anarchisme et marxisme ont été élaborées par la suite. Dans les années 1960-70, Daniel Guérin tente l'élaboration d'un courant qualifié de « marxiste libertaire », cherchant à faire la synthèse entre anarchisme et marxisme. Il s'agit pour l'anarchisme de se réapproprier la conception matérialiste de l'histoire, et pour le marxisme majoritaire de se débarrasser de visées étatistes et autoritaires[4]. Ce concept a remis en lumière les points de convergence du « marxisme » et de l'« anarchisme », notamment sur la question de l'analyse économique et sociale. Plutôt qu'une synthèse entre anarchisme et marxisme, le courant communiste libertaire va plutôt faire des prélèvements. Il prélève de la doctrine marxiste tous les éléments, compatibles avec l’idéal libertaire[28], lui permettant de solidifier sa doctrine. Ainsi, il s'empare de concepts et d'outils marxistes comme la lutte des classes, mais également pour certains de la méthode dialectique[9]. Les communistes libertaires gardent néanmoins une attitude pragmatique et n'hésitent pas à ajouter des corrections et des actualisations à la pensée de Marx. C'est ce qu'on retrouve en 1986, dans le Projet communiste libertaire de l'Union des travailleurs communistes libertaires, où le concept de lutte des classes est élargi au delà de la critique initiale des rapports d'exploitation avec une critique des rapports de pouvoir (L’État n'est plus vu comme un simple produit des rapports entre les classes sociales mais comme une institution autoritaire en soi, productrice d’une classe dominante)[29]. Cette dynamique mène à une forme de rupture avec certains dogmes anarchistes, comme l'« absence de pouvoir », alors perçue comme une « pure vue de l'esprit », y préférant la construction d'un pouvoir populaire fonctionnant de bas en haut. Ou le soutien des communistes libertaires aux « luttes de libération nationale » pas nécessairement comprises comme des diversions bourgeoise et nationaliste, mais pouvant aussi relever d'une dimension anticapitaliste, où il serait préférable d'encourager « les forces liant émancipation nationale et émancipation sociale »[29]. Expériences de mise en pratiqueUkraine 1917-1920Il y a des expériences de communisme libertaire en Ukraine dans divers cantons ou villages qui sont cependant trop courtes pour que l'on puisse en retirer un enseignement, cependant, il reste des écrits de Makhno au sujet de Goulai Polié et de ses environs. Espagne 1936-1938L'expérience la plus importante qui ait existé de mise en pratique du communisme libertaire a eu lieu en Espagne durant la période révolutionnaire allant de 1936 à 1938. Dès le 18 juillet, jour de l'insurrection, une collectivisation des terres et des usines se fait dans quasiment toute l'Espagne « républicaine » avec plus ou moins d'intensité selon les régions et selon la force ouvrière et paysanne présente et influencée par les anarchistes. Dans certaines parties les communes ou collectivités vivent selon le communisme libertaire, dans d'autres parties le collectivisme libertaire. L'expérience espagnole est controversée dans la mesure où certains mettent en avant le vécu démocratique et populaire, tandis que d'autres soulignent que les idées anarchistes n'ont pas permis d'organiser la victoire contre le soulèvement fasciste. Autres exemples de mise en pratiqueL'Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) dans la province mexicaine du Chiapas organise les zones qu'elle contrôle sur un modèle proche du communisme libertaire : les paysans mettent en commun les terres et s'associent au sein de communautés pour traiter librement de l'organisation de leur société. Ces structures constituent une véritable administration qui remplace l'État dans certaines parties de cette région, où son autorité est presque absente depuis 1994[30]. Il y a eu d'autres exemples de mise en pratique de communisme libertaire : collectivités libertaires à l'époque des Soviets en URSS, initiatives autogestionnaires en Argentine, en France, etc. Sociétés traditionnellesCertains comme Pierre Clastres considèrent que le mode d'organisation de certaines sociétés traditionnelles extra-occidentales (à l'instar des Guayaki[31]) situées dans différentes parties du monde (Amériques, Afrique, Asie, Polynésie), et qui ont perduré durant des millénaires, sont assez similaire au moins en partie à l'anarcho-communisme[32]. Ces systèmes d'organisation mettent en valeur la satisfaction du besoin de chacun, et non le surplus et le bénéfice de quelques-uns au détriment de tous. BibliographiePrincipes et théories
Sur les expériences
Notes et références
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