Soulèvement du 18 mars 1871Le soulèvement du est la riposte des révolutionnaires parisiens à la décision du gouvernement d'Adolphe Thiers de leur retirer leurs armes et leurs canons. En 24 h, le gouvernement et les troupes régulières se replient sur Versailles et abandonnent la capitale aux insurgés. C'est le début de la Commune de Paris, la plus importante des communes insurrectionnelles en France en 1870-1871. Contexte
— Edmond de Goncourt, Journal, [1] Siège et capitulation de ParisLe , la France déclare la guerre à la Prusse. Dès le début du mois d'août, les défaites s'enchaînent et la situation est désastreuse pour l'armée française. Après la capitulation de Napoléon III à Sedan, les députés parisiens proclament la République le mais la guerre se poursuit et Paris est assiégé dès le . Le gouvernement de la Défense nationale ne parvient pas à rétablir la situation militaire et se résout à signer l'armistice le [2]. Frappée de stupeur, la population parisienne, qui a subi les souffrances du siège, le froid de l'hiver et les bombardements prussiens, est gagnée par le ressentiment[2]. L'Assemblée réfugiée à Bordeaux et issue des élections législatives du , majoritairement monarchiste et réactionnaire, renforce l'amertume des Parisiens[3]. Nombreux sont ceux qui se sentent abandonnés voire trahis par une France rurale « qui ne songe plus qu'à la paix et n'a pas le moindre égard pour les sacrifices qu'ils ont consentis », comme le souligne l'historien Michel Cordillot. L'opposition est totale : sur les 43 sièges à pourvoir dans la capitale, les Parisiens désignent 36 républicains qui ne peuvent empêcher l'Assemblée de ratifier le traité de paix le . La convention d'armistice, qui prévoit l'occupation partielle de la ville, exaspère d'autant plus la population que les Prussiens n'avaient pu la soumettre militairement[2]. Pendant le siège, des éléments de la Garde nationale ont déjà manifesté leur mécontentement à propos de la conduite des opérations et leur méfiance vis-à-vis du gouvernement notamment lors des journées du et du [3]. Le , le général Clément-Thomas, exaspéré par l'indiscipline de ses troupes, démissionne de son commandement[4], alors que la Fédération de la Garde nationale se met progressivement en place[2]. Le , pour l'anniversaire de la révolution de 1848, une centaine de bataillons en armes défilent autour de la colonne de Juillet pour manifester leur attachement à la République. L'autorité du gouvernement est plus que jamais remise en en cause et les troupes de l'armée régulière se retirent progressivement des quartiers populaires[2]. L'Assemblée contre ParisLe , conformément aux dispositions de l'armistice, les Prussiens entrent dans Paris et l'affrontement est évité de justesse par la mise en place d'un cordon sanitaire autour des beaux quartiers à l'initiative du Comité central républicain des Vingt arrondissements. La Garde nationale s'équipe en vidant les arsenaux et regroupe les canons qu'elle détient sur les hauteurs de la ville, de Montmartre à Belleville, mais également sur la place des Vosges[2]. La nomination à sa tête du général d'Aurelle de Paladines le est perçue comme une nouvelle provocation, et le , l'Assemblée vote deux mesures ressenties comme une humiliation par les Parisiens : la première prive une bonne partie des gardes nationaux de leurs ressources, en ne réservant la solde qu'aux seuls pouvant prouver leur indigence, la deuxième concerne le règlement immédiat des échéances commerciales, ce qui risque d'entraîner la faillite de milliers de commerçants et artisans. L'Assemblée choisit par ailleurs de s'installer à Versailles, « décapitalisant ainsi Paris au profit de la ville des rois » selon l'expression de Jacques Rougerie[2],[5]. Toutes ces mesures entraînent la radicalisation des éléments les plus modérés[4]. Le gouvernement désormais installé à Versailles perçoit la colère des Parisiens et tente plusieurs fois de reprendre les canons. Le maire du 18e arrondissement, Georges Clemenceau, tente de trouver un compromis, mais les annonces du font échouer les négociations[4]. Adolphe Thiers s'installe à Paris le , décidé à empêcher toute tentative insurrectionnelle. Le général Vinoy, gouverneur de Paris, multiplie les mesures répressives qui restent sans effet. Dans le même temps, la Fédération de la Garde nationale, qui a reçu l'adhésion de 215 bataillons sur 242 dont la garde de banlieue, adopte ses statuts définitifs et se dote d'un Comité central le [2],[6]. Délégué du Comité central républicain des Vingt arrondissements, Charles Beslay relate dans ses Souvenirs l'état d'excitation qui gagne la population parisienne à l'aube de l'insurrection : « Poussé à bout par une série d’événements formidables, [Paris] ressemblait à un canon que l'on a chargé jusqu'à la gueule et que les mains imprudentes du gouvernement ont fait partir »[7]. PréparatifsLe gouvernement est décidé à rétablir son autorité dans Paris avant que les députés, jusqu'alors installés à Bordeaux, ne se réunissent à Versailles. Parallèlement, l'Assemblée nationale prend un train de mesures qui va finir par faire basculer la population dans la guerre civile : suppression des moratoires sur les loyers, les effets, la solde quotidienne des gardes nationaux[8]. Le au soir, le chef du pouvoir exécutif Adolphe Thiers[Note 1] réunit au ministère des Affaires étrangères le Conseil des ministres en présence du maire de Paris Jules Ferry, du préfet de police Valentin et des généraux Aurelle, chef de la Garde nationale, et Vinoy, gouverneur militaire de Paris. Il est décidé d'enlever les canons qui sont entreposés à Belleville et Montmartre. Les canons ne sont pas gardés. Le dispositif imaginé par Thiers est de quadriller Paris pour rendre toute résistance vaine. Le général Vinoy établit son quartier général au Louvre.
DéroulementMatinéeLe , vers 3 h du matin, les soldats se mettent en marche vers leurs objectifs qui sont atteints avant 6 h, mais les chevaux et attelages prévus sont en retard et le retrait des premiers canons prend du retard[10],[11]. À Montmartre, la population qui se réveille se rassemble autour des parcs où sont regroupés les canons. Beaucoup craignent alors que le coup d'État du se répète et la foule se fait pressante autour des soldats bientôt pris au piège dans ce quartier populaire aux rues étroites. L'alerte est donnée par le Comité de vigilance de Montmartre et six bataillons de la Garde nationale prennent les armes. L'un des gardes, Germain Turpin, est abattu[12],[Note 2] Vers 10 h 30, le général Lecomte donne l'ordre de tirer sur la foule mais 250 soldats du 88e régiment de marche mettent la crosse en l'air et fraternisent avec la population. Arrêté, le général est contraint de signer l'ordre d'évacuation de la butte[11],[13]. Il est fait prisonnier et conduit au Château-Rouge, tandis que les 80 gendarmes qui l'entouraient sont emmenés à la mairie du 18e arrondissement. Pour se protéger d'un retour de l'armée, les gardes nationaux occupent alors des points stratégiques comme le boulevard Ornano, la rue Myrha, la rue Marcadet, la rue Doudeauville et la place Saint-Pierre, tandis que des barrages sont mis en place sur les boulevards extérieurs (Clichy, Rochechouart et la Chapelle). Des barricades sont érigées à la hâte au carrefour des rues Lepic, des Abbesses et des Dames, place Blanche, au débouché des rues Blanche et Fontaine, autour du moulin de la Galette et de la tour Solférino, place des Abbesses, rue des Martyrs, rue Gabrielle ou encore rue Germain-Pilon[11]. Le même scénario se déroule ailleurs dans Paris : à Belleville, le général Faron se replie précipitamment tandis que des barricades sont dressées dans le 11e arrondissement et le faubourg Saint-Antoine[13]. Confrontées à une véritable résistance populaire, partout les troupes refluent. Les fédérés occupent la place de la Bastille, abandonnée par les soldats, peu après midi[11]. Les troupes du général Paturel se disloquent. Une partie de la réserve du général Subvielle, installée entre la place Pigalle, le boulevard et la place Clichy fraternise aussi. La permanence du Comité central de la Garde nationale est renforcée par des délégués qui arrivent de leurs quartiers encore tranquilles. Dans la matinée, les opérations de la garde nationale sont strictement défensives et les rares initiatives sont dues à l'action spontanée de quelques chefs de légion. Chaque quartier combat pour soi et les mouvements ne sont pas coordonnés. Quelques membres du Comité central de la Garde nationale se rassemblent peu à peu dans une école de la rue Basfroi pour organiser la riposte, mais la coordination est encore toute relative[13]. Vers 10 h, les informations parviennent au gouvernement. Il apprend que les troupes du général Faron fraternisent et abandonnent leur matériel. Il y a des barricades dans le faubourg Saint-Antoine, à Ménilmontant. Le gouvernement et le commandant en chef de la Garde nationale, le général d'Aurelle de Paladines, tentent d'organiser une offensive en s'appuyant sur les Gardes nationaux des quartiers bourgeois du Centre et de l'Ouest de la capitale. Sur les 12 000 escomptés, à peine 600 répondent à l'appel et retournent chez eux lorsqu'ils constatent la faiblesse de leurs effectifs. Aussi, le général Vinoy, gouverneur de Paris, décide de faire évacuer les quartiers de la rive gauche de la Seine et de replier les troupes sur l'École militaire. Après-midiVers 13 h, le général Lecomte est transféré à Montmartre sur l'ordre d'un comité local de vigilance. Il est pris à partie par la foule en fête et par ses propres soldats. Il y est rejoint par un autre prisonnier, le général Clément-Thomas, un des commandants de la sanglante répression du soulèvement de juin 1848, qui a été reconnu bien qu'il soit en civil. En début d'après-midi, sur la rive gauche, le blanquiste Émile-Victor Duval mène une contre-attaque sans attendre les ordres du Comité central. À la tête de quatre bataillons de la 13e légion, il occupe en moins de trois heures le Quartier latin et s'empare de la poudrière du Panthéon, avant de se rendre maître du 5e arrondissement. Il marque ensuite une pause dans sa progression et ne passe les ponts que dans la soirée pour prendre la préfecture de police[13]. Dans le 14e arrondissement, la reconquête populaire s'achève vers 16 h 30 avec l'occupation de la mairie, place de Montrouge. L'armée régulière retire finalement l'ensemble de ses troupes de la rive gauche, par crainte d'une fraternisation générale. Sur la rive droite, les fédérés s'emparent de la caserne des Minimes, de l'Imprimerie nationale et de la caserne du Château-d'Eau. Vers 16 h, un bataillon fédéré atteint la place de la Concorde et entraîne la fuite précipitée d'Adolphe Thiers pour Versailles. La prise de ce bâtiment est un objectif à la fois politique et symbolique. Deux bataillons commandés par Paul Antoine Brunel et Maxime Lisbonne descendent du 10e arrondissement vers la place de l'Hôtel-de-Ville en suivant la rue du Temple. Ils sont rejoints vers 21 h 30 par une colonne de cinq bataillons bellevillois aux ordres de Gabriel Ranvier et par plusieurs groupes de fédérés du 11e arrondissement[11]. En début d'après-midi, le Comité central donne l'ordre aux bataillons des 17e et 18e arrondissement de s'emparer de l'état-major de la Garde nationale, place Vendôme, mais ce n'est qu'à 18 h qu'une colonne de 1 500 à 2 000 hommes se met en marche. La place n'est occupée que vers 20 h 30, en même temps que le ministère de la Justice[11]. Vers 15 h, le gouvernement, revenu de son déjeuner, se divise sur la conduite à tenir : quitter Paris pour y revenir en force, ou organiser la résistance dans les quartiers ouest. À 21 h 55, contre l'avis de Jules Ferry, dernier représentant du gouvernement à Paris, l'ordre d'évacuation de l'hôtel de ville est donné et les fédérés prennent possession du lieu à 22 h. Le Comité central de la Garde nationale s'y installe vers minuit[11]. En fin d'après-midi, à Montmartre, la foule déchaînée attaque le poste de la rue des Rosiers[Note 4] où se trouvent les généraux Lecomte et Clément-Thomas, qui sont sommairement exécutés[Note 3], malgré l'intervention de deux membres Armand Herpin-Lacroix et Simon Meyer du Comité de vigilance de Montmartre[14], ainsi que du maire du 18e, Clemenceau. Un peu plus tard, le général Chanzy échappe de peu au même sort[15]. L'hôtel de ville, où Jules Ferry tente d'organiser la résistance, est abandonné par les soldats. ConséquencesMalgré une ultime conciliation menée par les élus parisiens (maires et députés), la rupture entre le gouvernement légal et les insurgés est consommée. Dès le lendemain, le gouvernement prend des mesures pour isoler les communications entre Paris et la province. Rétrospectivement, le début de la « campagne à l'intérieur », organisée pour réprimer la Commune de Paris et les insurrections communalistes de province, sera fixé au , même si les premiers combats n'auront lieu que dans les derniers jours de mars. De son côté, le Comité central occupe l'Hôtel de ville sous la direction d'Édouard Moreau. Il convainc ses collègues d'organiser les élections municipales contre une minorité, d'inspiration blanquiste, qui voulait sans attendre marcher sur Versailles[16]. Cette décision sera critiquée par Karl Marx. Plusieurs villes de Province s'insurgent également à la suite de ce soulèvement ; c'est notamment le cas à Marseille, Narbonne, Saint-Étienne, Le Creusot, ou encore Besançon, mais aussi Toulouse, Perpignan, Le Havre, Grenoble, Bordeaux, Nîmes, Limoges, Périgueux, Cuers, Foix, Rouen, etc. Regards contemporainsComme l'affirme Paul Lidsky, qui a étudié les réactions des grands écrivains de l'époque sur les événements de la Commune, la condamnation du soulèvement du est unanime. Dans les mois qui précèdent, nombreux sont ceux qui évoquent les premiers signes d'une guerre civile dans leur correspondance ou leur journal personnel, tel Edmond de Goncourt, Gustave Flaubert et Théophile Gautier. Ce dernier refuse d'y une lutte politique et sociale et préfère dénoncer l'œuvre de brigands et de barbares ayant prémédité l'insurrection depuis longtemps en profitant de l'excitation de la population parisienne provoquée par le siège et la capitulation[17] : « Il y a sous toutes les grandes villes des fosses aux lions, des cavernes fermées d'épais barreaux où l'on parque les bêtes fauves, les bêtes puantes, les bêtes venimeuses, toutes les perversités réfractaires que la civilisation n'a pu apprivoiser, ceux qui aiment le sang, ceux que l'incendie amuse comme un feu d'artifice, ceux que le vol délecte, ceux pour qui l'attentat à la pudeur représente l'amour, tous les monstres du cœur, tous les difformes de l'âme ; population immonde, inconnue au jour, et qui grouille sinistrement dans les profondeurs des ténèbres souterraines. Un jour, il advient ceci que le belluaire distrait oublie ses clefs aux portes de la ménagerie, et les animaux féroces se répandent par la ville épouvantée avec des hurlements sauvages. Des cages ouvertes, s'élancent les hyènes de 93 et les gorilles de la Commune »[18]. Notes et référencesNotes
Références
Voir aussiArticles connexesBibliographie
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